« Chacun
devra chérir la vie qu'il n'a pas encore vécue »
Le
vent qui a sévi plus fort qu’à l’accoutumée
sur la Croisette pendant trois jours de ce Festival, a
aussi secoué pas mal de films, à l’instar
de la magnifique scène d’ouverture de Volver (au
fait, qui de Kaurismäki ou d’Almodóvar
a-t-il soufflé à l’autre l'idée
de la belle romance de Carlos Gardel, que l'on retrouve
au générique des Lumières
du faubourg ?).
Le vent a aussi balayé du palmarès Il
Caïmano, dont
le jury trop international n’a su saisir les richesses,
ni les subtilités du propos, pas plus qu'il n'a
décelé les passions de son réalisateur.
Revenir
sur cette sélection 2006, c’est avant tout évacuer
le coup foireux de son ouverture. Exit donc l'imposture
du DVC. Le meilleur était
heureusement à venir. Un meilleur où la comédie
brillait par son absence, tout en ménageant à l'humour
de salutaires échappées, et faisant la part
belle à la peinture d'un monde aux cieux chargés,
hier comme aujourd'hui, de lourds nuages et à une
humanité plus ou moins déglinguée,
dont Southland tales ne
donne pas la meilleure illustration.
Mal à l'âme
Dans
la Chine de 1989, sur fond de révolte estudiantine,
l'instabilité met en échec les expériences
amoureuses de Yu Hong et ses amis, dont Summer palace porte
les cicatrices. A l'autre bout du monde, dans une université américaine,
la caméra de 2h37 prend
en filature quelques étudiants, à travers
leurs blessures les plus intimes. Fêlures, frustrations,
introversions hantent l'univers des protagonistes de Selon
Charlie, dirigés
en maître par Nicole Garcia. Beaucoup plus démonstrative
mais tout aussi fragile, Maguy fait de sa propriété de La
Californie un ring
où des comptes malsains se règlent au détriment
de tous. Mais ce sont décidément les ados,
anges exterminateurs ou exterminés, lolitas déterminées
ou déterminantes, par lesquels les atmosphères
chaudes, puis carrément pesantes s'installent :
Nina et Lizzy dans Meurtrières,
Paul dans Pingpong,
sans oublier deux Livia bien différentes, celle
de Sommer 04 et
celle de Ça
brûle.
Violence
et galères
Au
point où nous sommes, le pas de la violence a déjà été franchi,
mais l'escalade ne va pas en rester là. Mia, du
haut de ses cinq ans, en connaît déjà un
sacré bout sur les choses de la vie, grâce
aux soins de sa mère Princess Christina,
et évolue comme un poisson dans l'eau dans un univers
brutal dont son oncle tente de l'extraire. Dans ce monde,
Vojtek et Sonia, jeunes protagonistes respectifs du Récupéré et
de Transe,
entrent l'un par quasi-nécessité, la seconde
par fatalité, thèmes récurrents des
actions situées dans les pays de l'Est. Retour sur
la misère à l'état brut pour Aki Kaurismäki,
dont les Lumières du faubourg ne
rendront pas moins sombre l'horizon de Koskinen, l'homme
sans prénom, l'homme cette fois sans avenir. Si
en revanche les lendemains semblaient pouvoir sourire à Aggie
et Peter, les bébêtes que ce dernier héberge
dans sa chair ne l'entendent pas de cette oreille-là (Bug).
Quant à Katrina, attisée par Le
feu sous “sa” peau,
c'est plutôt par affinités qu'elle se vautre
avec un plaisir non dissimulé dans la violence.
Et puisqu'à tous bourreaux, il faut une victime,
Yakis joue le parfait “Schmurtz”, sur lequel
déferlent inexorablement tous les coups de gueule
et de lattes que l'humanité entière semble
avoir envie d'administrer à son prochain, sans toujours
oser le faire (Soul kicking).
Pour
la cause
De
tout temps, sous tous les cieux, sous prétexte
de toutes les guerres, beaucoup n'ont pourtant jamais
hésité à conduire
leurs contemporains jusqu'au bout de l'horreur : la torture
est ainsi pratiquée et infligée aux rebelles à l'ordre établi
en Irlande (The Wind that shakes the barley),
au Mexique (El Violin),
en Espagne (El Labyrinto del fauno),
en Argentine (Crónica de una fuga),
ailleurs (Flandres). En Algérie, la torture sévira
aussi, une vingtaine d'années après la Seconde
Guerre mondiale, époque à laquelle se déroule Indigènes,
soit l'engagement des Français des colonies d'Afrique
pour défendre la mère-patrie.
Deuil
Si
la guerre des Etats-Unis contre Al-Qaida n'est pas encore
déclarée,
les passagers du vol United 93
en sont pourtant déjà les victimes en ce 11
septembre 2001, alors qu'en cachette ils tentent de faire
leurs adieux à ceux qu'ils aiment. A Aceh, le deuil
est solidement enraciné dans la terre indonésienne
depuis le 26 décembre 2004, où le tsunami
a tué par centaines de milliers, laissant les survivants
totalement démunis (Serambi).
La fiction reprend ses droits avec Babel,
vaste fresque mettant en scène les peurs du monde
et la difficulté des hommes à vivre avec
les autres.
A une bien plus petite échelle,
mais avec tout autant de douleur, Candida et Ramon devront
se résoudre à l'absence inéluctable
de leur fils (Hamaca paraguaya).
Malgré le sérieux du sujet, Pedro Almodóvar,
avec Volver,
nous rejoue les morts vivants sur un ton enlevé, épicé et
savoureux, dont il a décidément le secret.
Ton très personnel également, empreint de
fausse légèreté, pour Dans
Paris, où une
famille s'est déconstruite après le décès
de la petite sœur de dix-sept ans.
Trouver
sa voie
Dans
la série du propos intelligent, Les Amitiés
maléfiques touche
largement leur cible et déjouent certains petits
jeux dangereux qui pourraient empêcher les plus brillants
de toucher au but. Sous les ors de Versailles, la route
de Marie-Antoinette est
toute tracée, condamnée à vivre et
se perdre dans la frivolité et l'insouciance. Entre
flics et voyous, sur fond d'intense violence, se reconstruire
ne sera pas une mince affaire pour HP, qui parvient au
moins à se mettre en paix avec lui-même (Uro).
Dans une facture très différente, L'Homme
gênant tente
d'échapper au monde apparemment parfait où il
se trouve transplanté, séjour qui lui vaudra
au passage quelques mémorables aventures. L'expérimentation
de nouvelles voies cinématographiques n'est pas
sans risques et François s'y brûlera les ailes
(Les Anges exterminateurs).
Tandis que Bruno, réalisateur de séries Z
et électeur de droite, se trouve, pour ne pas sombrer
totalement, obligé de tourner Il Caïmano,
d'après un scénario qui s'avère être
une charge contre Berlusconi. Côté chanson,
la partition qu'interprète Alain est enregistrée
depuis longtemps et rien, ni même sa rencontre avec
Marion, ne l'en détournera (Quand j'étais
chanteur). Puisque
nous atteignons des sphères plus légères,
il est temps de donner sa place à LA comédie
du festival, Changement d'adresse,
où de déménagements en marivaudages,
David et Anne finissent par trouver l'amour tout simplement.
Marie-Jo
Astic
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