C’est le grand retour de William Friedkin,
artisan consciencieux mais inégal, auteur de French Connection (1971)
et L’Exorciste (1973). L’efficacité et la
rigueur de la construction de Bug montrent qu’il n’a
pas perdu la main.
Adapté d’un roman de Tracy Letts, le film commence comme
une chronique sentimentale et s’achève dans le pur gore,
avec une progression dans la tension dramatique qui révèle
un savoir-faire indéniable. Les insectes censés être
les "méchants" de
l’histoire (mais qui auront des circonstances atténuantes)
n’apparaissent d’ailleurs qu’au bout d’une heure
de film et le cinéaste a retenu la leçon de Hitchcock qui
voulait détourner l’attention du public par une fausse piste
narrative (Les Oiseaux, Psychose). Le scénario, astucieux
et convaincant, est le premier atout de Bug même si Friedkin
expédie les explications finales dans un dialogue débité à toute
vitesse par l’actrice principale. Il permet aussi de faire le lien
avec d’autres films américains du festival (Fast Food
Nation, Babel), qui présentent une vision critique de la politique
extérieure de l’administration Bush.
De la première partie du film, on retiendra le portrait délicat
de losers propres à un certain cinéma indépendant :
maris jaloux et violents sortant de prison, épouses esseulées
en quête d’attache sentimentale, retour de minables virées
terminé par une dernière Heineken.
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Ces situations de convention,
déjà vues
dans Monster voire les films de Eastwood, évoquent une
Amérique attachante, revenue des désillusions des mythes
du self made man et de l’american way of life.
Ashley Judd, actrice extravertie (Ruby in Paradise), compose
un admirable personnage de femme forte sous ses fêlures. Mais la
révélation est surtout Michael Shannon dont la prestation
dans la suite du film n’a d’égale que celle de Jeff
Goldblum dans La Mouche.
La seconde partie est l’un des sommets du cinéma fantastique
et de politique-fiction. En adoptant l’unité de lieu (justifiée
par le scénario), le cinéaste amplifie le sentiment d’étouffement
et de malaise suscité par une menace bien plus dangereuse que
celle d’aliens hostiles. Le meurtre d’un médecin-robot
et l’apocalypse finale resteront parmi les clous du film mais
aussi dans les futures anthologies.
Après Wolf Creek l’an dernier, on ne peut que louer
la Quinzaine d’avoir sélectionné un film fantastique
de série B, genre auquel se sont déjà confrontés
maints cinéastes talentueux.
Gérard
Crespo |