«Les gens ne sont pas noir ou blanc, ils changent, c’est
tout »
La Palme d’or conforte l’un des thèmes récurrents
de ce festival. L’enfant celui que l’on recherche, que
l’on regrette, que l’on vend, que l’on achète, que l’on
séquestre, celui auquel on ne comprend rien, celui dont
on veut récupérer l’estime à tout prix partage cependant
cette prééminence avec le couple. Lemming s’inscrit ainsi
parfaitement en ouverture d’une série d’engrenages conjugaux
apparemment bien huilés que viennent titiller des grains
de sable de taille plus ou moins conséquente.
Il
peut s’agir de l’existence d’une fille issue d’un premier mariage, situation
on ne peut plus banale mais qui dans Sangre ne ménage pas son effet. Encore plus
anodin : lorsqu’il décide de se raser La Moustache, Marc ne peut imaginer que
son geste le fera sérieusement douter de sa santé mentale. Idem pour Frédérique
et Caroline, heureux propriétaires d’une maison, hantée par un hôte clandestin
qui joue à Cache-cache avec leurs nerfs. Le couple Anne/Georges aura quant à lui à affronter
l’instant où se révèle le profond sentiment de culpabilité pas forcément légitime de
Georges (Caché). Etat d’âme plutôt absent chez Chris qui fait ou défait les (ses)
couples et joue sa vie sur l’hypothétique résultat d’un Match point. Le couple
aussi, craintif d’une solitude annoncée, qui s’éveille à de nouveaux désirs (Peindre
ou faire l’amour).
Du non-dit, nous venons de passer au mensonge flagrant. Celui
qui rompt la vie amoureuse de Max, et fait brutalement basculer L’Orizzonte degli
eventi d’un univers à l’autre, se double d’une foncière malhonnêteté. Au couple
succède le duo Larry/Vince, enfermé dans un secret qui mettra longtemps à révéler
sa vérité (When the truth lies). Menteur ou plutôt faiseur d’histoires… Hank,
Factotum ne sachant à peu près rien faire, avance à grands pas, mais sans jamais
céder sur un idéal qui n’appartient qu’à lui, vers la clochardisation.
Un univers
marginal qu’avec plus de violence expérimente au quotidien Bruno, père de L’Enfant.
Dans la série des sales gosses, s’il peut sembler malsain d’établir un palmarès,
la palme échoit toutefois sans conteste à Robert Carmichael et au déchaînement
de violence que son Great ecstasy a bien du mal à justifier. Cette bête qui sommeille
en chacun de nous, Mikael saura au-delà des Douches froides imposées par la
pauvreté en faire une analyse intelligente sur une voie qui pourrait ressembler à un équilibre
salvateur. Dans cette France des banlieues, Zim, Cheb et Yannick, alias Zim
and co., tentent de ne pas franchir le pas qui ne demande qu’à les inclure dans l’exclusion.
Quant à A stranger of mine, il nous conte façon puzzle (comme dirait Audiard)
fort bien agencé, les marivaudages contemporains de jeunes Japonais, dont les
destins se croisent pour mieux se construire. Les enfants sages, on les trouve
bien sûr du côté des filles, Machi et ses deux copines, dont le passe-temps favori
est d’inventer des histoires fantastiques, tandis que celle de La Forêt oubliée rattrape la réalité d’une petite ville de montagne.
La solitude prend des chemins
multiples : celui de la peur d’une existence sans lendemain (Room), celui de
l’enfermement dans des croyances religieuses dont Mathilde commence à douter,
que Laura rejette, toutes deux sœurs résidentes et prisonnières de La Petite
Jérusalem, celui du silence devant la maladie quand vient l’heure de décompter
Le Temps qui reste. La désillusion attend Grace au tournant des écueils de la
démocratie qu’elle tente d’instaurer à Manderlay, le remord rattrape le vieux
cow-boy solitaire qui, dans sa dénégation de la vérité, mesure le ratage de sa
vie (Don’t come knocking). Les lendemains d’une existence superficielle et vide,
semée de Broken flowers, chantent aux oreilles du dragueur sur le retour. Trois
solitudes s’unissent dans la Free zone à l’issue d’un road movie au cœur du conflit
israélo-palestinien. Mais il y a aussi les petites solitudes, les timides expérimentations
du bonheur de Me and you and everyone you know, auxquelles un simple coup de
foudre peut donner un sens.
D’amour fou il est aussi question dans L’Arc, idylle programmée mais impossible
pour une petite fille élevée en vase clos à des fins pas forcément perverses.
Promesses d’un amour qui ne pourront jamais s’accomplir dans la quête d’un enfant
entreprise par Hélène dans le Nordeste argentin. Amour incontrôlé de William
Keane, à la recherche désespérée de sa petite fille disparue. Amour obsessionnel
et prêt à tout de Bruno pour la voix de Lisa, interceptée sur le réseau, matériau
composant de sa musique électronique (Les Invisibles).
En même temps que le couple confronté à l’altérité, le mythe Jeckyll/Hyde ressurgit
violemment dans A history of violence, où le mal vient inexorablement faire son œuvre
contre le bien. Le massacre passe également par une histoire de vengeance, intelligemment
actée par un ange exterminateur texan, The King. Film d’horreur annoncé, Wolf
creek, nous livre enfin son lot de cruauté, sur fond de désert australien et
de pamphlet anti-touriste. Si j’aurais su…
Marie-Jo Astic |