L'Homme à la moto
El Motoarrebatador
de Agustín Toscano
Quinzaine des Réalisateurs







La vieille dame et le voleur

Tucumán, en Argentine. Miguel tente de joindre les deux bouts en pratiquant le vol à l’arraché depuis sa moto. Un jour, alors qu’il dérobe son sac à une vieille dame, il la blesse grièvement, à cause de l'obstination de son complice. Rongé par la culpabilité, il tente de soulager sa conscience en s’occupant d’elle, sans lui dévoiler son identité. Mais plus il devient proche de sa victime, plus il s’empêtre dans ses mensonges et craint de lui révéler la vérité… L’Homme à la moto est le second long métrage d’Augustín Toscano qui avait été primé à la Semaine de la Critique 2013 avec Los Dueños, coréalisé par Ezequiel Radusky. Comédien, scénariste et metteur en scène de théâtre et de cinéma, le réalisateur a entrepris ses études à l’université nationale de Tucumán et à l’école de cinéma, vidéo et télévision de la même ville. C’est peu dire qu’il est familier du lieu géographique dans lequel se situe l’action de ce second long métrage. Sans être autobiographique, le récit est donc largement inspiré de l’expérience de Toscano et de son entourage. En effet, la propre mère du cinéaste avait été victime d’un vol à l’arraché qui l’avait traumatisée ce qui a incité le réalisateur à imaginer une histoire qui mettrait en relation une vieille dame avec l’un de ses agresseurs repentis. Car Miguel est au fond un brave homme, guère si éloigné du personnage campé par Marcello Fonte dans Dogman de Matteo Garrone : victime de la mauvaise influence de son entourage, ce père de famille attentionné et bienveillant ne commet le mal que par déterminisme et nécessité, éprouvant systématiquement de la compassion envers ceux qu’il est amené à racketter. C’est le cas d’Elena, qui ne voulait pas lâcher son sac à main et devra effectuer un séjour hospitalier où elle subira des soins intensifs. Le cinéaste décrit moins un univers pourri par les inégalités sociales qu’un monde d’exclus où les pauvres sont amenés à voler d’autres indigents.

Car Elena n’a le profil ni d’une notable ni d’une rentière : elle s’avère être une femme de ménage usée qui a passé sa vie à servir les autres… « Cette lutte fratricide, douloureuse et brutale, entre des gens issus de la même classe sociale m’a poussé à écrire une comédie dramatique sur deux personnages qui tentent de donner du sens à leur vie », a déclaré le réalisateur. Et ce mélange de confrontation et de rapprochement fait alors glisser le film sur la pente du mélodrame et du suspense tant psychologique que policier, l’attention du spectateur étant sollicitée : par quels moyens et à quel moment Elena qui a perdu la mémoire s’apercevra-t-elle qu’elle a été dupée, même si les intentions de Miguel partent d’un bon sentiment et du désir de réparer un mal ? On songe aux rapports entre Olivier Gourmet et Morgan Marinne dans Le Fils des Dardenne pour le lien entre un être meurtri et le responsable de son malheur, voire les rapports entre Nathalie Baye et Madeleine Robinson dans l’inégal J’ai épousé une ombre de Robin Davis, qui scrutait les effets d’une manipulation. Mais c’est peut-être là que le bât blesse et que le film trouve ses limites. En dépit de la volonté du cinéaste de casser le cadre naturaliste et de travailler une certaine chorégraphie avec la caméra, en jouant avec les effets et les couleurs, l’œuvre n’échappe pas aux clichés et artifices de scénario (le personnage de la doctoresse), qui atténuent autant l’efficacité d’une tension hitchcockienne que la crédibilité des situations. Et le jeu larmoyant de la comédienne Liliana Ruarez n’est pas à porter au crédit du film. Dans le même registre d’un cinéma social cernant l’aliénation du travailleur sud-américain, il est permis de préférer le récent La Familia de Gustavo Rondon Cordova qui cernait avec bien plus d’acuité le sort des déshérités. En dépit de ces réserves, L’Homme à la moto est un film estimable qui devrait séduire les amateurs d’un cinéma à la fois populaire et engagé.

Gérard Crespo



 

 


1h34 - Argentine, Uruguay - Scénario : Agustín TOSCANO - Interprétation : Sergio PRINA, Pilar BENITEZ VIBART, Mirella PASCUAL, Liliana RUAREZ, Daniel ELIAS.

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