La Familia |
« Ces mecs-là ne rigolent pas. » Pedro, douze ans, erre avec ses amis dans les rues violentes d’une banlieue ouvrière de Caracas. Quand il blesse gravement un garçon du quartier lors d’un jeu de confrontation, son père, Andrés, le force à prendre la fuite avec lui pour se cacher. Andrés découvre son incapacité à contrôler son fils… Une claque ! Le premier long métrage de Gustavo Rondón Córdova est une réussite incontestable. Et on peut être étonné d’avoir attendu près de deux ans une distribution en salles alors qu’il avait été bien accueilli à la Semaine de la Critique en 2017. Diplômé en communication de l’Université centrale de Venezuela, le cinéaste a poursuivi une formation à l’Académie du film de Prague. En 2012, son court métrage Nostalgia fut accepté au Festival de Berlin. Au vu du synopsis de La Familia, on pouvait être dubitatif quant à la capacité d’un premier film à renouveler les codes du drame social axé sur l’enfance, tant le cinéma nous a proposés des œuvres de haut niveau autour de cette thématique, du néoréaliste Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica à La Promesse des Dardenne, en passant par Los Olvidados de Luis Buñuel ou Kes de Ken Loach. Loin du ton larmoyant et moralisateur du récent Capharnaüm de Nadine Labaki, Gustavo Rondón Córdova opte pour la sobriété même si son regard est sans concessions sur le quotidien terrible d’enfants plus ou moins livrés à eux-mêmes dans les quartiers déshérités de Caracas. La caméra à l’épaule du cinéaste s’attarde sur les activités de ces gosses dont même les jeux sont influencés par les déviances de leurs aînés : machisme ambiant, culte du révolver et de l’agression physique autant que verbale. La description de la violence enfantine n’est certes pas aussi radicale que dans Pixote, la loi du plus faible de Hector Babenco ou La Cité de Dieu de Fernando Meirelles : Rondón Córdova refuse tout sensationnalisme et choisit le hors-champ lorsqu’un coup de bouteille est asséné à l’un des personnages. |
Cela n’en rend pas moins effrayante la vision de l’engrenage de la malveillance qu’il met en évidence. La seconde partie du métrage, qui montre la fuite d’un père voulant protéger un fils dont il peine pourtant à comprendre le comportement, mène la narration dans une autre direction, en se focalisant sur le déterminisme qui touche aussi les adultes : petits boulots précaires dans des villas de la classe moyenne supérieure, travail au noir dans la restauration, trafic d’alcool… Mais là encore, le cinéaste ne grossit pas le trait et n’a recours à aucun artifice de scénario, la limpidité et l’épure de son dispositif suffisant à capter l’attention. Quant à la relation père-fils, traitée sans pathos ni ficelles mélodramatiques, elle s’avère l’une des plus subtiles traitées au grand écran, les non-dits ou les contrechamps suffisant à traduire l’évolution de leurs rapports. « J’ai toujours traité, dans mes films, des relations familiales et des conflits qui se jouent dans la sphère intime. Je voulais faire un film réaliste sur mon pays et exprimer ce que je ressens aujourd’hui par rapport à lui : un mélange d’attraction et de rejet. J’ai grandi à Caracas et à un moment donné, la ville est devenue très dangereuse, glauque et coupée du monde. On s’y entretuait et c’est alors que nous avons commencé à nous cloîtrer chez nous », a déclaré Gustavo Rondón Córdova. Sans être ouvertement autobiographique, le métrage a donc été nourri par l’expérience et les souvenirs du réalisateur, ce qui renforce l’authenticité et l’efficacité de son premier film. Il faut enfin souligner la qualité de la direction d’acteurs : le jeune Reggie Reyes est surprenant et évite le surjeu des enfants comédiens. Giovanni García dont c’est le deuxième grand rôle à l’écran est lui aussi d’une grande justesse dans la peau de ce père maladroit, dépassé par les événements mais intransigeant dans ses choix.
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1h22 - Chili, Norvège, Vénézuela - Scénario : Gustavo RONDON CORDOVA - Interprétation : Giovanny GARCIA, Reggie REYES. |