Girl |
« Tu bouges, tu sais danser, mais tu ne sens pas, tu ne laisses pas sortir les sentiments… » Lara, quinze ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon… Formé à la School of Arts de Gand, Lukas Dhont signe avec cette perle son premier long métrage. Le cinéaste s’est inspiré de l’expérience d’une jeune fille née dans un corps de garçon et espérant devenir danseuse étoile. Souhaitant au départ en tirer un documentaire, il a finalement opté pour la fiction tout en songeant aussi à un souvenir d’enfance : quand il était petit, son père voulait qu’il soit boy-scout et l’emmenait jouer dans la boue ou faire du camping, alors que lui ne rêvait que de théâtre, de chant et de danse. « C’est comme cela que GIRL a commencé. Par la nécessité de parler de notre perception du genre, ce qui est féminin et ce qui est masculin. Mais surtout pour […] montrer la lutte intérieure d’une jeune héroïne capable de mettre son corps en danger pour pouvoir devenir la personne qu’elle veut être », précise Lukas Dhont dans les notes d’intention. Ces matériaux ont abouti à une œuvre intense, trouvant un juste équilibre entre l’ellipse et le dialogue explicatif, la suggestion et l’analyse des sentiments. Du passé de Laura, nous ne savons rien, si ce n’est que son père et son petit frère ont dû quitter un ancien domicile pour lui faire intégrer une prestigieuse école de danse tout en lui faisant suivre un traitement médical apte à accompagner sa transformation. La subtilité du scénario est d’avoir décrit un entourage familial et scolaire bienveillant, à l’instar de Coby et il ou elle, deux autres métrages récents ayant traité la même thématique. |
Les rares paroles blessantes qui s’adressent à la jeune fille n’en paraissent alors que plus gênantes et violentes : quand une camarade de danse l’oblige à se montrer nue, ou lorsqu’à la suite d’un caprice non satisfait le petit frère l’appelle par son ancien prénom. Outre le malaise rencontré par de nombreux adolescents à la puberté, Lara doit faire face à son impatience d’atteindre l’âge adulte et d’être complétement débarrassée de ses attributs masculins. Son attirance physique pour son jeune voisin et sa difficulté physique à faire des pointes lors des répétitions ne sont pas les moindres manifestations de son trouble et de sa souffrance. Sans jamais glisser dans le pathos ou l’outrance, le réalisateur concilie élégance d’écriture et rigueur filmique, avec un travail plastique étonnant, tel ce jeu sur les couleurs reflétant les motivations de la protagoniste. Plus qu’à Xavier Dolan, auquel d’aucuns l’ont comparé, Lukas Dhont oscille entre la grâce de Céline Sciamma dans Naissance des pieuvres et la sécheresse du Michael Haneke de La Pianiste, tout en apportant un style singulier, mi-naturaliste, mi-lyrique. Girl est donc à la fois un sommet du cinéma transgenre et l’un des meilleurs films sur la danse, plus proche du trouble de Black Swan que de la joliesse consensuelle de Billy Elliot. Et il est n’est pas superflu de mentionner l’interprétation formidable du jeune acteur et danseur Victor Polster qui s’est investi à fond dans son premier rôle et devient, après Timothée Chalamet (Call Me by Your Name) et Félix Maritaud (Sauvage), une nouvelle étoile montante de l’écran.
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1h45 - Belgique - Scénario : Lukas DHONT, Angelo TIJSSENS - Interprétation : Victor POLSTER, Arieh WORTHALTER, Tijmen GOVAERTS, Valentijn DHAENENS. |