Les Confins du monde
de Guillaume Nicloux
Quinzaine des Réalisateurs






Un monde à part

Indochine, 1945. Robert Tassen, jeune militaire français, est le seul survivant d'un massacre dans lequel son frère a péri sous ses yeux. Aveuglé par la vengeance, il s'engage dans une quête solitaire et secrète à la recherche des assassins. Mais sa rencontre avec Maï, une jeune Indochinoise, va bouleverser ses croyances… Guillaume Nicloux s’est vu proposer par sa productrice Sylvie Pialat et son directeur artistique Olivier Radot d’adapter un roman ayant pour point de départ un fait historique : le 9 mai 1945, les Japonais qui contrôlaient le nord de l’Indochine ont orchestré une boucherie dans toutes les garnisons françaises ce cette partie du pays. Mais on aurait tort de ne voir dans le film qu’une exploration de plus dans le genre du cinéma de guerre ou une autre vision de ce conflit. Le réalisateur fuit aussi bien le romanesque d’Indochine de Régis Wargnier que le réalisme semi-documentaire de La 317e section de Pierre Schoendoerffer. Cinéaste éclectique dont chacun des films semble s’inscrire contre le précédent, Guillaume Nicloux traite toutefois le thème du deuil qui avait imprégné Valley of Love : Robert Tassen (Gaspard Ulliel) fait ainsi écho au couple français (Isabelle Huppert et Gérard Depardieu) qui pensait retrouver un fils disparu en visitant le désert américain. Ici, c’est l’inquiétante jungle indochinoise qui sert de décor, la vengeance d’un frère s’avérant très vite un prétexte pour sonder les troubles et les obsessions de Robert Tassen. Car même s’il présente des images de guerre qui n’avaient pas été aussi horrifiques depuis Il faut sauver le soldat Ryan, Guillaume Nicloux ne se situe pas uniquement dans la veine d’auteurs anticolonialistes ou pacifistes.

Les motivations de Nassen peuvent certes symboliser la mauvaise conscience d’un pouvoir politique partagé entre une ligne humaniste et une domination territoriale, il n’empêche que le récit reste avant tout le portrait d’un homme qui finit par se perdre (dans tous les sens du terme) dans un lieu qui lui échappe. On songe à l’itinéraire du personnage de Jean-Hugues Anglade dans Nocturne indien d’Alain Corneau. En fait, Nicloux semble adopter la démarche qu’il inculque à ses étudiants de la Fémis, qu’il a précisée lors d’un entretien avec Gaël Golhen et François Grelet : « Être dans une écriture instinctive, découvrir le sujet en l’écrivant. Il ne faut pas présupposer ni rationaliser, il faut se laisser guider par ses pulsions (…) Cette méthode offre quelque chose de très introspectif, ça tient un peu de l’analyse d’ailleurs ». La proposition est séduisante, et Les Confins du monde s’avère son film le plus ambitieux à ce jour. Pour autant, le spectateur peut se sentir aussi paumé que son personnage principal tant la confusion du scénario engendre le sentiment d’assister à une machinerie qui tourne un peu en rond, loin de la splendeur métaphysique de Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ou The Lost City of Z de James Gray. Et les correspondances entre le réalisme et l’onirisme étaient davantage prenantes dans Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore, dont le sujet était proche. On respectera toutefois l'originalité du projet, tout en soulignant la beauté de la photo de David Ungaro (Une prière avant l’aube) et la qualité de l’interprétation : Gaspard Ulliel est littéralement habité et Guillaume Gouix en sous-officier brutal mais compréhensif confirme l’étendue de son registre.

Gérard Crespo



 

 


1h43 - France - Scénario : Jérôme BEAUJOUR, d'après le roman d'Erwan Bergot - Interprétation : Gaspard ULLIEL, Gérard DEPARDIEU, Guillaume GOUIX, Lang-Khé TRAN, Jonathan COUZINIÉ, Kevin JANSSENS, François NÉGRET.

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