The Square |
« Le Carré est un sanctuaire de confiance et de bienveillance. En son sein, nous avons tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. » (Inscription sur l’œuvre d’art The Square) Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d'un musée d'art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée "The Square", autour d'une installation incitant les visiteurs à l'altruisme et leur rappelant leur devoir à l'égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l'honore guère…Ruben Östlund avait été remarqué avec l’excellent Snow Therapy, prix du Jury Un Certain Regard en 2014, conte sarcastique sur la désagrégation d’un couple suite à un différend dans une station de ski. The Square est moins dépouillé et opte pour une narration avec des personnages plus nombreux, imbriqués dans une double intrigue révélatrice de la confusion des valeurs. Comme le père de famille de Snow Therapy, Christian mène une vie paisible et harmonieuse dont le fleuve tranquille va être perturbé. Esthète intègre, défendant la liberté d’expression et l’humanisme, il va se trouver d’abord piégé par deux golden boys du marketing, dont le projet de promotion du musée s’avérera politiquement incorrect. La perte de son mobile va par ailleurs l’amener à côtoyer les habitants d’une cité populaire à qui il va jouer un bien mauvais tour : en distribuant dans chaque boîte à lettres un message les accusant individuellement de vol, il espère récupérer son trophée numérique. Mais quand un enfant du quartier vient le sommer de présenter des excuses à ses parents, notre brillant bourgeois bohème défenseur de l’humanisme va se trouver coincé.
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Le dernier opus de Ruben Östlund démarre sur un ton de comédie légère mais l’ambiance devient vite oppressante et l’humour de plus en plus noir au fil de la narration. Des digressions insolites mènent souvent sur de fausses pistes, comme cette scène d’aventure sexuelle avec une journaliste américaine souhaitant conserver le préservatif usagé de son amant, ou cette séquence avec une « bête humaine » exposée lors d’un repas mondain, plaçant les convives et le spectateur dans une situation de malaise réel. The Square se présente dès lors comme un bel objet filmique non identifié, à l’instar du cinéma d’un Alex van Warmerdam (Borgman) ou d’un Ulrich Seidl (Import/Export). L’étrangeté et l’atmosphère pince-sans-rire sont au cœur d’un dispositif auquel le public adhérera… ou pas. Mais on peut lui faire confiance. Ruben Östlund déclare dans le dossier de presse : « Je voulais faire un film élégant en me servant de dispositifs visuels et rhétoriques pour bousculer le spectateur et le divertir. Sur le plan thématique, le film aborde plusieurs sujets, comme la responsabilité et la confiance, la richesse et la pauvreté, le pouvoir et l’impuissance, l’importance croissante que l’on accorde à l’individu par opposition à la désaffection vis-à-vis de la communauté et la méfiance à l’égard de l’État en matière de création artistique et de médias ». Il faut aussi souligner la qualité de l'interprétation : Dominic West, que l’on avait croisé dans Pride et Money Monster déploie un jeu subtil, quand Elisabeth Moss met en avant une fantaisie qui contraste avec l'image mélancolique qui était la sienne dans la série Top of the Lake. Au final, The Square est une proposition de cinéma intellectuellement et esthétiquement séduisante, qui ne caresse pas le spectateur dans le sens du poil, et confirme l’importance d’un cinéaste sur qui l’on doit désormais compter. Gérard Crespo
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2h22 - Suède, Danemark - Scénario : Ruben ÖSTLUND - Interprétation : Dominic WEST, Elisabeth MOSS, Terry NOTARY. |