Examen de conscience
On pourra désormais dire que le réalisateur roumain Cristian Mungiu est un « habitué de Cannes »… Remarqué à la Quinzaine des Réalisateurs pour son premier long métrage Occident, il revient cinq années plus tard avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours en compétition officielle, qui remporte la Palme d’or et le Prix de l’Éducation nationale (ça aura fait des remous lors de l’édition pédagogique du DVD !). Après un film à sketches en 2009, il revient en 2012 en compétition à Cannes avec Au-delà des collines, un peu boudé par la critique, alors que le film décroche tout de même le Prix du scénario et le double Prix d’interprétation féminine.
Avec son cinquième long métrage, Cristian Mungiu était donc attendu sur la Croisette pour « passer » son Baccalauréat. Roméo Aldea est un médecin dans une petite ville de Transylvanie. Représentant d’une classe moyenne qui tente de s’intégrer après un exil post-révolution de 1989, il vit avec sa femme – mais dort sur la canapé ! – et sa fille Eliza (interprétée par Maria Dragus, découverte dans Le Ruban blanc de Michael Haneke). Il n’en est pas peu fier de sa fille, avec son 19 de moyenne et une bourse obtenue pour suivre ses études au Royaume-Uni. Car Roméo ne voit d’avenir pour sa fille qu’au dehors de cette Roumanie accordant mal son passé avec une boiteuse démocratie en crise d’adolescence.
Il ne reste pour Eliza qu’une formalité : l’obtention du baccalauréat avec mention. Mais un incident va remettre en cause l’évidence de ce dernier palier… Roméo va devoir, contre ses convictions solides, se frotter à la compromission ambiante en rendant service à des gens « très serviables »…
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La force du film de Mungiu réside dans une mise en scène d’apparence sobre, mais savamment travaillée afin de garder à la fois un rythme sans faiblesse et une emprise sur le spectateur par des plans séquences très « horizontaux » qui laissent toujours la caméra au niveau des personnages. Cette mise en place permet aux acteurs – et particulièrement au remarquable Adrien Titieni – d’affirmer une présence physique étonnante jusque dans les détails.
Dès le premier plan où Roméo dort sur le canapé du salon et réceptionne une pierre lancée de l’extérieur, brisant la vitre comme si le salut du pays ne pouvait venir que d’une jeunesse en révolte, le ton est donné à la manière de Ceylan dans l’incident de Winter Sleep.
Aucune esbroufe ne vient peser dans les émotions qui accompagnent le parcours de Roméo. Face à ce qu’il considère comme une injustice, il a pourtant du mal à justifier ce qui va piétiner ses principes de probité qu’il a lui-même inculqués à sa fille. Pendant que cet idéal moral se délite, son couple se disloque et les petits arrangements avec la loi font écho à la nécessaire mise au jour d’une relation extraconjugale mal assumée.
Les jurés du Festival de Cannes ont très justement récompensé la mise en scène de Mungiu (ex-æquo avec Personal Shopper d’Olivier Assayas) ; ils auraient tout aussi bien pu accorder les Félicitations du Jury au scénario de ce Baccalauréat, écrit avec une justesse et un équilibre narratif étonnant par le réalisateur lui-même.
Jean Gouny
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