Les bien-aimés
Beloved
de Christophe Honoré
Sélection officielle
Hors compétition (Clôture)



Sortie en salle : 24 août 2011




« Je ne crois pas au bonheur, mais cela ne m'empêche pas d'être heureuse »

Avec cette comédie musicale de 2h30 étalée sur quarante-cinq ans et concentrée en divers lieux symboliques (Paris, Prague, Londres, Montréal...), Christophe Honoré réalise son meilleur film et rompt enfin avec les maladresses de Dans Paris ou Les chansons d'amour, œuvrettes mineures qui souffraient de la comparaison avec leurs références. Les bien-aimés se réclame bien sûr toujours de l'auteur des Demoiselles de Rochefort ou de Truffaut mais Honoré hérite de leur légèreté profonde (ou profondeur légère) en se gardant bien désormais de plagier ou caricaturer. On retrouve donc toujours des références familières : si la caméra lorgnant sur les jambes des filles mobilise le souvenir de L'homme qui aimait les femmes, les rapports mère-fille font écho à Lola, Les parapluies de Cherbourg ou Une chambre en ville ; et il est clair que la partition d'Alex Beaupain, qui a gagné en musicalité et intensité, convoque les ombres de Michel Legrand ou Michel Colombier. Surtout, la présence de la grande Catherine opère le lien entre ce cinéma novateur des années 60 et tout un courant contemporain dont Honoré se réclame, et auquel on pourrait affilier Ducastel/Martineau ou Ozon. Ainsi, Honoré est bien le fils spirituel de Demy et cet enfant d'une Nouvelle Vague dont il semblait emprunter les pires tics. Mais depuis Non ma fille, tu n'iras pas danser, dont le classicisme aux accents proches des univers d'un Sautet ou d'un Téchiné lui convenait davantage, le cinéaste semble avoir mûri et enrichi sa palette. C'est la raison pour laquelle Les biens-aimés d'une subtilité manifeste semble une synthèse thématique et stylistique dans son œuvre.

Que conte Les bien-aimés ? L'histoire de Madeleine (Catherine Deneuve), de sa fille Véra (Chiara Mastroianni) et des hommes (amis, maris, amants...) qui gravitent autour d'elles. Deux femmes libres et amoureuses, spontanées et enjouées, engagées puis désabusées, qui traversent les années et les symboles (Mai 68, le sida, le 11 septembre...) en restant fidèles à un idéal et à leur existence « superficiellement superficielle » :

on est plus proche d'Ophuls que de Lelouch, et Honoré use des clichés pour mieux les détourner, les styliser mais aussi les nuancer : si la première demi-heure baigne dans des éclairages et décors colorés très sixties et minnelliens, le réalisateur opte pour des teintes plus neutres dans la suite du récit, et choisit des accessoires « indémodables », transmis au fil des générations, comme pour montrer la relativité de notre rapport au temps. De même, la séquence dans laquelle Madeleine n'est plus interprétée par Ludivine Sagnier mais Catherine Deneuve semble logique et limpide, sans que le spectateur ne soit surpris par le changement d'actrice. Une approche similaire est adoptée pour l'espace : refusant de fétichiser les lieux d'un film déjà fétichiste en soi (l'image récurrente des chaussures), Honoré honnit l'approche touristique pour une évocation sensorielle et affective : le Montréal découvert par Véra est particulier et angoissant, car c'est la nuit du 11 septembre ; un plan permet de comprendre que nous sommes à Londres car l'on y parle anglais, sans que le réalisateur n'ait besoin de tourner quinze plans de Big Ben... Cette économie de moyens, au service d'une cohérence esthétique, contraste avec le lyrisme des dialogues et chansons, sans que cela ne vienne troubler l'harmonie d'un film impressionniste plus que baroque.

Film sur la mort, les rêves et les désillusions, Les bien-aimés doit aussi sa réussite à une distribution brillante et équilibrée : Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni, déjà unies par un rapport de filiation dans Ma saison préférée et Persepolis, confirment leur complicité à l'écran. Louis Garrel, également dirigé dans La belle personne, devient un comédien emblématique de l'univers du cinéaste. Et l'idée incongrue de placer Milos Forman et Michel Delpech au cœur d'une rivalité amoureuse fonctionne à merveille. Signalons enfin qu'après une ouverture du Festival qui a vu la projection de Minuit à Paris, le choix d'un Paris contemporain faisant suite à celui de l'âge d'or rêvé par Allen boucle la boucle avec classe.

Gérard Crespo


2h25 - France - Scénario : Christophe HONORE - Interprétation : Catherine DENEUVE, Ludivine SAGNIER, Milos FORMAN, Louis GARREL, Chiara MASTROIANNI, Michel DELPECH.

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