Makala |
Le pousseur de bicyclette Au Congo, un jeune villageois espère offrir un avenir meilleur à sa famille. Il a comme ressources ses bras, la brousse environnante et une volonté tenace. Parti sur des routes dangereuses et épuisantes pour vendre le fruit de son travail, il découvrira la valeur de son effort et le prix de ses rêves… Emmanuel Gras, diplômé de l’E.N.S Louis Lumière, avait été remarqué par deux documentaires, Bovines (sur le monde agricole), et 300 hommes, coréalisé avec Aline Dalbis, plongée dans un centre d’hébergement d’urgence. À l’occasion d’un tournage africain en tant que chef opérateur, il avait été frappé par ces hommes transportant de lourdes quantités de charbon, traversant des dizaines de kilomètres dans des conditions ingrates pour gagner péniblement leur vie. Il eut alors l’occasion de rencontrer Kabwita Kasongo, un jeune père de famille décidé à se construire une maison, qu’il comptait financer en produisant et vendant du charbon. Le cinéaste a alors filmé Kabwita au plus près, de son activité de bûcheron à celle de vendeur, en passant par son précaire statut de transporteur, des centaines de kilos de charbon étant empilées sur une bicyclette vétuste, pour une traversée périlleuse des pistes sablonneuses du pays. Le documentaire en dit long sur les conditions de vie de Kabwita et ses pairs (l’usure physique n’est pas loin pour un travailleur qui n’a pas atteint la trentaine), la corruption généralisée (son entrée dans la ville lui coûte un sac de charbon), la logique individualiste qui l’a emporté sur les solidarités ancestrales, et les techniques rudimentaires, la rareté des réchauds et les problèmes électriques rendant indispensable un produit que chacun veut acheter au moindre prix, y compris les notables de la ville. L’originalité de Makala est d’éviter d’abord l’académisme des nombreux reportages édifiants ou militants, au demeurant sincères, qui ont envahi les salles depuis plusieurs années : on ne trouvera dans le film ni voix off sentencieuse, ni démonstration balourde. |
Et même si la présence du cinéaste influence sans doute les propos et le comportement des protagonistes, le métrage n’adopte pas le ton décalé « documenteur » de certains films récents, à mi-chemin du documentaire et de la fiction, dont les remarquables Mediterranea de Jonas Carpignano ou Gabriel et la montagne de Fellipe Barbosa. Makala ne semble en fait relever d’aucun genre, même si des influences sont manifestes : les tâches filmées en temps réel dans des plans-séquences interminables font écho aux dispositifs de Bresson ou Akerman, quand la seconde partie n’est pas sans évoquer la tension de certains polars ou westerns. Une réserve d’ordre éthique pourra toutefois interpeller le spectateur : pourquoi le cinéaste ne vient-il jamais en aide à Kabwita, y compris dans les situations les plus dangereuses ? « Il y a notamment cette longue montée difficile qui peut poser question à certains. Mais pour moi, le contrat du tournage était que je reste avec lui : je suis là, derrière ma caméra, je travaille avec lui, je cherche les meilleurs angles pour faire exister son travail, même si c’est évidemment beaucoup moins éprouvant physiquement. La sympathie, au sens de "souffrir avec", que je voulais faire ressentir aussi au spectateur, vient du fait que l’on restait ensemble, pas du fait que je m’arrête et pousse avec lui s’il y avait des difficultés ». Ces propos d’Emmanuel Gras ne nous font pas douter de la bonne foi de sa démarche et nous ne lui reprocherons donc pas d’avoir instrumentalisé le malheur humain à des fins esthétiques. Makala par son style à la fois austère et lyrique exerce un réel pouvoir de fascination et n’a pas démérité son Grand Prix à la Semaine de la Critique.
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1h36 - France - Documentaire - Production : Nicolas ANTHOMÉ - Distribution : LES FILMS DU LOSANGE - Interprétation : Kabwita KASONGO, Lydie KASONGO. |