Tesnota - Une vie à l'étroit |
Au nom du fils 1998, Nalchik, Nord Caucase. Ilana, vingt-quatre ans, travaille dans le garage de son père pour l’aider à joindre les deux bouts. Un soir, la famille et les amis se réunissent pour célébrer les fiançailles de son jeune frère David. Dans la nuit, David et sa fiancée sont kidnappés et une rançon réclamée. Au sein de cette communauté juive repliée sur elle-même, appeler la police est exclue. Comment faire pour réunir la somme nécessaire et sauver David ? Pour son premier long métrage, Kantemir Balagov s’invite dans la cour des grands. Ce jeune cinéaste est né à Nalchir, capitale de la République autonome de Kabardini-Balkarie, dans le Caucase du Nord, la ville dans laquelle se situe l’action de Tesnota. Disciple d’Alexandre Sokourov, son professeur de cinéma à l’université, qui a soutenu le projet, Balakov s’est inspiré d’un fait divers qui avait marqué son enfance. L’œuvre décrit avec acuité et sécheresse la décomposition d’un microcosme familial suite à un drame qui ne laissera aucun des protagonistes indemnes. La figure centrale en est Ilana, une jeune femme rebelle et déterminée, aux allures d’adolescente androgyne, dont la personnalité contraste avec les autres membres de sa famille, plutôt conformistes, encore que son jeune frère se livre avec elle à un jeu de sous-entendus sexuels bien équivoques… Annoncé suite à une ellipse, et traité hors-champ, l’enlèvement de David et sa fiancée Léa par la mafia locale ne saurait mener le film sur la piste du récit policier. C’est un prétexte pour cerner d’abord le chaos chez des êtres proches : « Ce qui me passionnait surtout, c’était la façon dont une famille peut vivre un moment critique, parce que c’est dans ces périodes-là que l’on s’aperçoit à quel point les réactions des uns et des autres peuvent être différentes, opposées, inattendues », a déclaré le réalisateur dans un entretien avec Yann Tobin. |
Le film montre aussi avec des accents de tragédie le trouble dans la communauté juive de Nalchir, bien moins soudée qu’elle n’en a l’air. Priés de se cotiser pour réunir la somme nécessaire à la rançon, certains font la fine bouche, du jeune homme qui rappelle que personne ne l’a aidé quand sa mère était mourante, à la vieille femme choquée que deux fiancés aient pu sortir ensemble le soir… De préjugés en mesquineries (on leur propose de racheter le garage familial à prix bradé), Ilana et ses parents prennent des distances avec leurs pairs. Mais quand un mariage arrangé semble l’ultime solution pour sauver David, Ilana se révolte, quitte à sacrifier son frère… Le film de Kantemir Balagov frappe par sa capacité à mêler le drame individuel et les tensions sociales. Tourné en langue kabarde, le métrage cerne en effet les difficultés de communication entre les Kabardes, les Balkars et les Russes, sur fond d’antisémitisme et de guerre avec les Tchétchènes (insoutenable scène d’égorgement de soldats russes par des milices, sur cassette VHS). Sur le plan formel, Tesnota est d’une sobriété oppressante, accentuée par un format de pellicule, le 1 :37, qui insiste sur l’« étroitesse » (traduction du titre russe) des lieux et l’enfermement de personnages pris au piège de leur condition. Le cinéaste, qui a écrit le scénario et effectué lui-même le montage, a en outre dirigé à merveille ses interprètes, dont la charismatique Daria Jovner, aux faux airs d’une Cotillard du Caucase. Enfin Tesnota s’inscrit dans la mouvance des derniers films qui, du Disciple à Faute d’amour, ont abordé les névroses d’une société russe gangrenée par l’individualisme, la corruption et l’intolérance.
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1h58 - Russie - Scénario : Kantemir BALAGOV - Interprétation : Darya ZHOVNER, Veniamin KAC, Nazir ZHUKOV, Olga DRAGUNOVA, Atrem TSYPIN. |