Hitchcock/Truffaut |
« En Amérique, vous appelez cet homme Hitch. En France, on l'appelle Monsieur Hitchcock. » En 1962, François Truffaut s'était entretenu une semaine avec Alfred Hitchcock en vue de publier un ouvrage, Hitchcock /Truffaut, édité en 1966, et qui deviendra vite un ouvrage de référence pour les cinéphiles. Réédité en version enrichie aux éditions Ramsay en 1984, quatre ans après la mort du réalisateur culte des Oiseaux et quelques mois avant celle de l'auteur du Dernier métro, le livre devait conquérir une nouvelle génération d'autant plus enchantée que des films longtemps invisibles de Hitchcock, dont Fenêtre sur cour, étaient l'objet de triomphales reprises. Clair, accessible et instructif, cet ouvrage s'avérait passionnant de bout en bout et permettait de décoder l'art du maître, loin du jargon de certains spécialistes et des savantes analyses sémiologiques qui ont analysé par la suite l'œuvre de Hitchcock. Critique et historien du cinéma, coscénariste de Jimmy P. d'Arnaud Desplechin, Kent Jones est un « ami américain » précieux qui a choisi de revenir sur ce fameux « Hitch book », aidé pour le scénario par Serge Toubiana, ex-rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma et actuel directeur général de la Cinémathèque française. Alternant photos des entretiens, montage sonore à partir des enregistrements initiaux au magnétophone et extraits emblématiques de films de Hitchcock (mais aussi de Truffaut), le documentaire revient sur des passages essentiels du livre qui avaient permis aux Français et aux Américains de réaliser que « Hitch » n'était pas seulement le « maître du suspense » loué par un slogan publicitaire (ce qu'un Georges Sadoul avait déjà compris), ou uniquement un artisan avisé et à succès de l'industrie hollywoodienne. |
Le mérite de l'ouvrage de Truffaut, dont le documentaire se fait l'écho, est d'avoir fait prendre conscience du statut d'auteur et d'artiste d'un véritable créateur de formes, innovateur dans les domaines de la narration et du découpage. Les séquences du baiser entre Ingrid Bergman et Cary Grant dans Les Enchaînés, ou les surimpressions dans Le Faux coupable en apportent ici à nouveau la preuve, si besoin est. Aux doubles pages en photos de l'album répondent ici des images animées, sans que le documentaire de Kent Jones se contente d'être le seul prolongement cinématographique illustratif de l'ouvrage de Truffaut. On appréciera les rappels sur la perversité implicite de Hitchcock, multipliant les métaphores sexuelles dans Vertigo ou Psychose, œuvres qui constituent, avec La Mort aux trousses, le sommet de sa filmographie. Moins convaincante nous semble l'insistance à souligner l'inspiration catholique du cinéaste, ou le manque de recul critique face à la doxa de la politique des auteurs, qui considérait que le moins bon film d'un Hitchcock valait toujours mieux que le meilleur Delannoy : il n'est pas sûr que l'ennuyeux et raté Topaz (L'Étau) soit plus captivant que le troublant Maigret et l'affaire Saint-Fiacre, pour n'en rester qu'à la comparaison entre ces deux cinéastes. Plus pertinentes sont les interventions d'autres réalisateurs qui expliquent pourquoi Hitchcock les a influencés et en quoi l'ouvrage de Truffaut a été pour eux un dénotateur. On appréciera alors les points de vue d'Olivier Assayas (Clean), David Fincher (Zodiac), James Gray (The Yards), Kiyoshi Kurosawa (Vers l'autre rive), Richard Linklater (Boyhood) ou Martin Scorsese (Taxi Driver), véritables prolongements de la réflexion initiée par l'auteur de Jules et Jim. Projeté à Cannes Classics, le documentaire a été diffusé sur Arte le 16 novembre 2015, avant une imminente sortie en DVD. Gérard Crespo
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1h28 - France - Documentaire - Scénario : Kent JONES, Serge TOUBIANA - Production : Artline Films, Cohen Media Group, Arte France. |