Vers l'autre rive
Kishibe no tabi
de Kiyoshi Kurosawa
Sélection officielle
Un Certain Regard

Prix de la mise en scène


Sortie en salle : 30 septembre 2015




Le vrai « film-concept » de Cannes

Au cœur du Japon, Yusuke convie sa compagne Mizuki à un périple à travers les villages et les rizières, à la rencontre de ceux qu’il a croisés sur sa route depuis ces trois dernières années, depuis le moment où il s’est noyé en mer, depuis ce jour où il est mort. Pourquoi être revenu ?

Le retour du grand cinéaste japonais au Festival de Cannes était attendu et a constitué l’un des grands moments d’une sélection « Un Certain Regard » d’une très bonne tenue. À la sortie de la projection, on imaginait déjà les commentaires dubitatifs de certains face à ce splendide mélodrame mettant en scène des fantômes. Des apparitions spectrales nettement plus calmes - très loin de l’épouvante provoquée par celles aperçues dans certaines de ses précédentes réalisations (Kairo, Loft, Retribution) – laissant toutefois surgir une inquiétude, plus diffuse qu’à l’accoutumée mais bien réelle (présence de non-dits, de rancunes et de regrets).

Dans un style très contemplatif et poétique, porté par une mise en scène sublime, Vers l’autre rive glisse progressivement du film de revenants vers un mélodrame intense, mettant en scène un homme qui revient à la vie terrestre pour entamer avec sa femme un parcours qui le conduira vers une mort définitive.

La relation entre les vivants et les morts : cette thématique n’est pas nouvelle chez Kurosawa, tant il n’a cessé de creuser ce sillon dans la plupart de ses œuvres majeures. Mais il le fait ici sur un mode plus apaisé, plus introspectif, s’inscrivant dans un genre cinématographique qu’il dit affectionner particulièrement. Partant du postulat que le corps et l’esprit existent à des niveaux différents (dissociant la mort physique de la mort de l’âme), Kurosawa livre ici une œuvre bouleversante, flottante et même évanescente, pétrie de spiritualité japonaise, nous proposant d’appréhender la mort d’une autre manière. L’inquiétude du début du film laissera la place à une harmonie (re)trouvée, tant pour l’homme qui s’en va que pour la femme qui l’aura accompagné dans cet ultime voyage vers l’autre rive et qui pourra accepter son deuil. Ce que Gus Van Sant a raté avec sa Forêt des songes, Kurosawa le réussit pleinement, mêlant abstraction de la mise en scène et purs moments d’émotion. Le travail sur les visages, les corps, les jeux de lumière (autant d’indices pour le spectateur attentif) prouvent à qui pouvait en douter l’immense talent de l’un des meilleurs cinéastes japonais en exercice. Le vrai « film-concept » de Cannes n’était donc pas signé George Miller mais bel et bien Kiyoshi Kurosawa. Et ce voyage était sacrément plus beau !

Xavier Affre

 



 

 


2h08 - Japon - Scénario : Kiyoshi KUROSAWA, Takashi UJITA, d'après le roman de Kazumi Yumoto - Interprétation : Tadanobu ASANO, Eri FUKATSU.

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