Le chat noir et l'enfant

Aria, neuf ans, fait face à la séparation très violente de ses parents. Au milieu de leurs disputes, mise à l’écart par ses demi-sœurs, elle ne se sent pas aimée. Ballotée de l’un à l’autre, elle erre à travers la ville avec son sac à dos et son chat noir. Frôlant le désespoir, elle essaie de préserver son innocence.

Le film commence fort : une engueulade familiale à la Pialat, autour d'une table. Le père (Gabriel Garko), vedette de série B, engueule et humilie sa compagne, Yvonne (Charlotte Gainsbourg). Cette dernière, pianiste virtuose, est la mère de deux filles, dont Aria (prometteuse Giulia Salerno), fille de Gabriel. La scène se passe en présence de Lucrezia, née d'un premier mariage de l'acteur. Cette famille recomposée n'est en rien idéale, et l'attitude déplaisante d'Yvonne (envers sa belle-fille, Gabriel, mais aussi Aria), ne la rend guère plus sympathique que son (bientôt) vieux beau d'amant. Bastons, injures, bassesses... La première demi-heure de cette nouvelle réalisation d'Asia Argento suscite un malaise qui peine à entraîner l'adhésion du spectateur, tant la cinéaste n'éprouve aucune indulgence pour ses personnages, et particulièrement les adultes, odieux, individualistes, et d'une immaturité abyssale. Face à ce monde de brutes violentes et peu compatissantes, Aria, pré-adolescente, incarne un idéal de pureté qui cherche sa voie.

Mais on est loin ici de l'humanisme touchant de L'Incompris (L. Comencini, 1967), auquel se réfère explicitement le film.

Le récit d'Asia Argento échappe aussi au ton consensuel mis en évidence dans Les Merveilles, qui a séduit le jury de la compétition officielle, et qui par ses échappées poétiques contrebalançait un naturalisme ambiant. Il y a dans L'Incomprise une sécheresse des situations et des protagonistes qui évoque davantage l'univers d'un Pasolini ou d'un Fassbinder qui décrivaient des êtres à la dérive et désabusés. Les autres enfants ne sont pas épargnés pour autant par la réalisatrice, comme l'atteste la scène de la boom pathétique organisée par Aria chez son père. Du coup, ce pessimisme omniprésent finit par captiver tant il est assumé en tant que tel, d'autant plus que la cinéaste opte pour un style décalé que surlignent les décors et costumes d'un kitsch revendiqué (la bonbonnière qui tient lieu d'appartement). Le film d'Asia Argento permet par ailleurs à Charlotte Gainsbourg de briller dans un autre rôle de maturité, après ses compositions réussies dans des films aussi marquants que L'Arbre ou Melancholia. Au final, L'Incomprise qui n'a rien d'une œuvre cherchant à séduire, finit malgré tout par exercer un certain pouvoir de fascination et un respect indéniable, de par la rudesse de sa narration et le refus de toute concession rassurante.

Gérard Crespo