This must be the place |
« Jane, je crois que je suis un peu déprimé » Ainsi Cheyenne, ancienne star du rock vivant à Dublin sur les acquis de sa gloire passée, se confie-t-il à sa femme (toujours drolatique Frances McDormand), pompier bénévole qui a bien du mal à ranimer l’étincelle de vie depuis longtemps éteinte de son compagnon de vie. Grimage gothique, regard éteint, chevelure de lionne noire, allure de zombi, démarche robotique accentuée par une sciatique, visage fatigué dont la seule gestuelle consiste à chasser d’un souffle une mèche de cheveux qui retombe inexorablement à la même place… le choc de l’apparition dudit Cheyenne est tel que l’on ne pense même pas à en rire, ce qui tombe à point puisque tel n’est pas le propos du réalisateur. Quant à la dégaine de l’acteur Sean Penn, elle a de quoi faire pâlir Jonathan Lambert dans le pire de ses accoutrements. Outre l’ennui, le souvenir de la mort de deux gamins à l’époque où ils étaient ses fans ronge Cheyenne et explique sa grosse déprime. L’annonce de la mort de son père, avec lequel il a rompu toute relation depuis longtemps déjà, l’amène à faire la traversée pour New York – en bateau, car l’avion le terrorise –, où il découvre que son père, juif, a consacré sa vie à rechercher un ancien nazi, la mort lui ayant in extremis empêché d’atteindre son but, mais la femme du criminel ayant été localisée. Cheyenne reprend alors la piste à travers le Michigan, suivant le Bad Axe jusqu’au Nouveau Mexique, occasion de croiser de vrais Cheyennes, pour terminer sa quête à Hunsville, Canada, où il retrouve enfin le dénommé Peter Smith, alias Aloise Lange. |
Cinéaste des personnages désincarnés (L’Ami de la famille, Il Divo), Paolo Sorrentino opte cette fois-ci pour un être incarné certes, mais ô combien momifié dans son adolescence et figé dans ses peurs. Et c’est de façon totalement inédite, tant par le personnage hors du commun qu’il met en situation que par l’argument de la chasse à l’homme dans lequel il l’installe, qu’il traite du thème éculé de la filiation et du mal de vivre, aboutissant à la réconciliation, avec le père, mais aussi avec soi-même. Sur un sujet sombre, le réalisateur prend le parti pris de la légèreté, pratiquant l’humour décalé, voire les gags, les scènes insolites, les images poétiques, le charme euphorique, en accord avec le personnage lunaire et halluciné de son héros, que son intellect totalement basique mène toujours à l’évidence, à la simplicité et à la sincérité du propos. Sorrentino, par l’entremise de Cheyenne, laisse quand même le temps au bourreau de philosopher sur sa jeunesse volée : « Il y a plusieurs façons de mourir. La pire est de continuer à vivre. » D’aucuns en ont été choqués, surtout 48 heures après l’éclat de Lars von Trier, comme ils le furent de l’ambiguïté de la scène clôturant l’entretien. Mais il faut en revenir à Cheyenne, car c’est alors que chez lui quelque chose a enfin changé et que cela se voit physiquement que l’on mesure la p… de performance que Sean Penn vient d’accomplir. Marie-Jo Astic |
1H58 - Italie, Irlande, France - Scénario : Umberto CONTARELLO, Paolo SORRENTINO - Interprétation : Sean PENN, Frances McDORMAND, Judd HIRSCH. |