Sofia |
Le fils de l’autre Sofia vit avec ses parents dans un modeste appartement de Casablanca. Alors qu'elle mange avec sa famille, elle est prise d'une violente douleur abdominale. Sa cousine Lena, étudiante en médecine est liquéfiée : Sofia est sur le point d'accoucher. Prétextant que Sofia a trop mangé, les deux femmes foncent à l'hôpital. D'abord dubitatif, le personnel accepte de faire hospitaliser Sofia sous réserve qu'elle fournisse son certificat de mariage avant le lendemain matin - à défaut ils devront alerter les autorités. Après l'accouchement de Sofia, Lena et elle quittent immédiatement l'hôpital à la recherche du père de l'enfant, se lançant dans une quête nocturne désespérée… Meryem Benm’Barek est née en 1984 à Rabat au Maroc. Elle a étudié l’arabe à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales à Paris avant de rejoindre en 2010 l'INSAS à Bruxelles pour y étudier la réalisation. Elle y a réalisé cinq courts métrages. On peut estimer que son porte-parole est le personnage de Lena, influencée par la double culture occidentale et marocaine, cultivée et qui a intériorisé l’idée d’émancipation de la femme. Pourtant, Lena n’est pas exempte de fêlures, ce qui est un premier signe d’absence de manichéisme du scénario : elle incarne une forme de bien-pensance paternaliste, quand bien même elle se révolte contre la situation de sa cousine et des Marocaines en général, n’hésitant pas à reprocher à sa mère sa rigidité et son opportunisme. Si Sofia est le symbole de la femme marocaine aliénée (peu diplômée, influencée par les traditions, sans emploi stable), elle est également une figure ambigüe, sa grossesse non désirée éclairant sa soumission mais étant à l’origine d’une obscure manipulation. On le voit bien : Sofia ne surfe pas sur la vague du nouveau pamphlet féministe, même si ce que le film dénonce est inspiré d’une réalité juridique : les relations sexuelles et naissances hors mariage restent prohibées au Maroc, le mariage étant la seule issue de rachat pour les mères célibataires. |
Meryem Benm’Barek préfère insister sur les antagonismes de classe, opposant le milieu bourgeois de Lena (vivant dans les beaux quartiers et souhaitant consolider sa position) à la famille d’Omar, le père supposé de l’enfant, représentative d’un Casablanca pauvre, la position médiane étant incarnée par Sofia et ses parents. Et là encore, le schématisme est banni, la cinéaste renvoyant dos à dos l’hypocrisie d’une classe supérieure souhaitant sauvegarder les apparences et l’opportunisme d’un prolétariat prêt à tout (ou presque) pour son ascension sociale. Quant aux hommes, ils ne sont guère montrés en tant qu’éléments dominants, la passivité du père de Sofia ou le piège tendu à Omar suggérant l’idée d’un statut masculin guère plus enviable que celui des femmes. La mise en scène de Meryem Benm’Barek est sobre et subtile, avec des choix de décors ou de cadrages suggérant l’absence de perspective, et une tension narrative qui n’est pas sans évoquer l’art d’Asghar Farhadi ou de Cristian Mungiu. « Beaucoup de scènes sont composées à partir de cadres au sein même du cadre de l’image, j’utilise ensuite des travellings avant qui permettent de quitter les encadrures et aller vers les personnages. Par exemple, la scène du repas de famille au début du film s’ouvre dans l’encadrure du salon au-dessus de laquelle figure la sourate Al-iram qui est dédiée à la famille, Sofia est hors-champ jusqu’à ce que son père lui demande d’apporter le dessert à table. Cette première image du film est comme un instantané d’une famille marocaine », précise la réalisatrice. On regrettera juste le caractère un peu démonstratif des dialogues, tempéré toutefois par la justesse des interprètes, dont la lumineuse Lubna Azabal. Sofia est donc globalement une réussite, qui confirme l’inspiration que peuvent avoir les cinéastes marocains, trois ans après Much Loved de Nabil Ayouch.
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1h30 - Maroc, France - Scénario : Meriem BENM'BAREK - Interprétation : Maha ALEMI, Sarah PERLES, Sara ELHAMDI ELALAOUI, Lubna AZABAL, Faouzi BENSAÏDI. |