Much Loved |
« Est-ce qu'on est obligées d'aller à la soirée du 28 ? » À Marrakech, Noha, Randa et Hlima se livrent à la prostitution, auprès de riches clients saoudiens ou européens. Elles sont bientôt rejointes par Hlima, une jeune paysanne qui a décidé de s'installer en ville. De soirées orgiaques en temps de repos dans un petit appartement, des fous rires complices aux engueulades quotidiennes, des visites à la famille aux descentes de police, l'existence de ces femmes révèle une résistance à la violence d'une société qui se sert d'elles tout en les humiliant. Il s'agit du septième long métrage de Nabil Ayouch dont Les Chevaux de Dieu avait été présenté à Un Certain Regard en 2012. Des années de questionnement sur la prostitution ont conduit le cinéaste à explorer ce milieu et à mener une enquête, en vue de préparer son scénario. Si celui-ci est basé sur le témoignage de femmes ayant confié leur solitude, leurs blessures, mais aussi leur double sentiment paradoxal de fierté et de perte d'amour propre, Much Loved n'est pas vraiment un docu-fiction, Nabil Ayouch n'ayant pas la fibre naturaliste. Pourtant, l'intrigue offre de belles tranches de réalisme, des échanges entre Noha et sa mère nécessiteuse aux passes sordides de Hlima, en passant par l'attente des jeunes femmes dans un couloir d'hôpital bondé. Le film offre un portrait sans concessions de la société marocaine, avec ses contrastes de classe, la corruption de son appareil policier, et une pauvreté omniprésente qui rend problématique le rapport à l'argent. |
Mais le réalisateur n'a recours à nul pathos dans une intrigue qui ne manque pourtant pas d'éléments dramatiques, de l'enfant victime de touristes pédophiles à la baston effectuée par un client impuissant. Nabil Ayouch préfère procéder par petites touches, contrastes de ton et digressions, utilisant dans la narration des figures secondaires discrètes mais touchantes, comme Saïd, le chauffeur de ces dames, qui les fait traverser la ville de jour comme de nuit. Et s'il refuse de s'apitoyer sur le sort de ses personnages, Ayouch n'en propose pas moins une vision humaniste, teintée d'une poésie qui n'est pas sans rappeler le Fellini des Nuits de Cabiria. Mais sa démarche fait aussi un peu écho à celle d'un cinéma en liberté faussement improvisé, incarné par des œuvres aussi diverses que les films de Cassavetes ou Party Girl, Caméra d'or en 2014. Il faut enfin souligner le charisme d'actrices pourtant non professionnelles, et particulièrement les talentueuses Loubna Abidar et Sara Elmhamdi Elalaoui. Much Loved a suscité des réactions violentes au Maroc, avant même d'avoir été montré en salles, et pas seulement en raison de la crudité de ses dialogues et des séquences explicitement sexuelles « Qu'un film arrive avec des propositions cinématographiques, ouvrant le débat sur un enjeu sociétal de taille et qu'on refuse ce débat... C'est ça qui est choquant », a déclaré le réalisateur. Ce petit bijou fait pourtant honneur à la cinématographie marocaine dont il constitue indiscutablement une date importante. Gérard Crespo
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1h45 - Maroc, France - Scénario : Nabil AYOUCH - Interprétation : Loubna ABIDAR, Halima KARAOUANE, Asmaa LAZRAK, Sara ELMHADMDI ELALAOUI, Abdellah DIDANE. |