Los Silencios
de Beatriz Seigner
Quinzaine des Réalisateurs






L’île des enfants perdus

Nuria, douze ans, Fabio, neuf ans, et leur mère Amparo arrivent dans une petite île au milieu de l’Amazonie, à la frontière du Brésil, de la Colombie et du Pérou. Ils ont fui le conflit armé colombien, dans lequel leur père a disparu. Un jour, celui-ci réapparaît dans leur nouvelle maison. La famille est hantée par cet étrange secret et découvre que l’île est peuplée de fantômes… Beatriz Seigner est une scénariste et réalisatrice brésilienne. En 2009, elle a signé Bollywood Dream, première coproduction entre le Brésil et l’Inde, sélectionnée dans plus de vingt festivals internationaux (Busan, Tokyo, Paris, Los Angeles, São Paulo, etc). Los Silencios est son second long métrage. « Nous avons tout de suite eu une idée : suivre les mouvements de l’Amazone, la crue et décrue. Et nous l’avons appliquée au film lui-même, c’est-à-dire que nous voulions qu’il y ait une interaction entre la réalité et le fantastique, que la réalité soit parfois immergée et que sa perception puisse être transcendée. Ce film, je l’ai toujours vu comme un film où le sensoriel avait une place concrète, tout comme les fantômes ont une place concrète dans cette région insulaire ». Ces propos de la réalisatrice assumant la dimension onirique de son œuvre tout en n’occultant pas la connotation réaliste du matériau traduit bien l’essence du métrage. Le scénario est en effet inspiré du témoignage d’une amie de la cinéaste : elle avait quitté la Colombie après la mort supposée de son père et pourtant elle l’avait retrouvé bel et bien vivant au Brésil. Le principal intérêt de Los Silencios est d’avoir greffé un cadre naturaliste quasi documentaire à un style dépouillé et intransigeant lui-même parsemé de séquences faisant songer à l’univers allégorique et fantastique des films de fantômes.

Cette approche plurielle fait tout le prix de Los Silencios dont plusieurs passages marqueront les esprits, de la difficile adaptation scolaire de Nuria à une étrange cérémonie funéraire, en passant par les déboires d’Amparo qui doit faire ses preuves dans une usine agroalimentaire de poissons tout en gérant les retrouvailles avec un mari dont on ne saura s’il est réel ou s’il s’avère être une projection de ses pensées fantasmatiques. Sans être aussi abouti que Les Oiseaux de passage de Ciro Guerra et Cristina Gallego, Los Silencios n’en demeure pas moins séduisant dans sa capacité à faire jaillir de la poésie et des zones d’ombre dans une histoire que d’aucuns auraient clarifiée par des cartons explicatifs ou une voix off sentencieuse. On pourra certes objecter que le récit surfe un peu trop sur les conventions du « film de festival » : ici l’absence de musique et le refus de toute tonalité lacrymale pourraient laisser croire que Los Silencios suit la voie d’un cinéma épuré tendance Dumont, quand des envolées lyriques et le soin apporté aux compositions picturales classeraient plutôt le film au rayon des objets esthétisants dans la veine du cinéma d’une Noémie Kawase. Ce serait faire procès d’intention à une cinéaste inspirée qui a refusé la facilité en optant pour une démarche décalée et à double lecture qui fait tout le prix de cette histoire d’une difficile intégration.

Gérard Crespo



 

 


1h28 - Brésil, Colombie, France - Scénario : Beatriz SEIGNER - Interprétation : Marleyda SOTO, Enrique DIAZ.

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