Carmen et Lola
Carmen y Lola
de Arantxa Echevarría
Quinzaine des Réalisateurs






Le temps des gitanes

Carmen vit dans une communauté gitane de la banlieue de Madrid. Comme toutes les femmes qu’elle a rencontrées dans la communauté, elle est destinée à reproduire un schéma qui se répète de génération en génération : se marier et élever autant d’enfants que possible, jusqu’au jour où elle rencontre Lola. Cette dernière, gitane également, rêve d’aller à l’université, fait des graffitis d’oiseaux et aime les filles. Carmen développe rapidement une complicité avec Lola et elles découvrent un monde qui, inévitablement, les conduit à être rejetées par leurs familles… Venue du documentaire, la réalisatrice Arantxa Echevarría en reste imprégnée pour son passage au premier long métrage de fiction : une caméra à l’épaule, le recours à des interprètes non professionnels, et surtout le souci de capter les rituels d’une culture, en l’occurrence ici la communauté gitane madrilène. La scène des fiançailles de Carmen est sur ce plan l’une des plus belles du film, et la cinéaste est subtile dans l’utilisation de la musique en tant que partie intégrante de la vie quotidienne, sans adopter toutefois la démarche de Tony Gatlif qui place le chant et la danse au cœur de son dispositif narratif. Quant au sujet, Arantxa Echevarría s’est inspirée d’un fait divers : deux jeunes filles gitanes avaient osé braver l’intolérance et les préjugés de leur entourage pour assumer leur amour.

On aurait tort de ne voir dans cette œuvre délicate qu’un pamphlet féministe contre un modèle patriarcal, ou un simple tract militant dénonçant l’homophobie. Carmen et Lola est à cet égard bien plus réussi que Rafiki, le film kényan de Wanuri Kahiu, œuvre courageuse mais qui n’évitait pas la mièvrerie et les maladresses techniques. Si Carmen et Lola distille un réel charme, c’est d’abord par la limpidité et la sincérité de son scénario, qui évite les écueils du manichéisme. Et si la cinéaste dénonce le comportement dominateur des hommes de la communauté (voir l’effrayante réaction du père de Lola), elle se garde bien de tout regard stigmatisant, suggérant que l’évolution des mœurs ne peut s’effectuer que par l’instruction et l’ouverture au monde. Le film n’a peut-être pas la puissance de La Vie d’Adèle ou Carol, il n’en demeure pas moins d’une authentique fraîcheur de regard, comme ont pu l’être, récemment, Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin ou Il se passe quelque chose d’Anne Alix. Il faut enfin souligner que le métrage doit beaucoup au charisme des deux jeunes interprètes qui font leur début à l’écran, accompagnées de cent cinquante gitanes sans expérience. Arantxa Echevarría a précisé : « Dès le début, nous savions que nous devions coller à la réalité, or il y a peu d’acteurs et d’actrices gitans car ils sont rarement poussés à suivre cette voie ». Le pari du casting est pleinement gagné. Ce n’est pas le moindre atout de ce petit bijou.

Gérard Crespo



 

 


1h43 - Espagne - Scénario : Arantxa ECHEVARRÍA - Interprétation : Rosy RODRIGUEZ, Zaira MORALES, Moreno BORJA, Rafaela LEÓN, Carolina YUSTE.

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