Rafiki
de Wanuri Kahiu
Sélection officielle
Un Certain Regard






L’éclosion des sentiments

Kena et Ziki mènent deux vies bien différentes dans un lotissement de Nairobi. Kena travaille dans la boutique de son père et attend de commencer une école d'infirmière, tandis que Ziki, passionnée de danse, passe ses journées à traîner avec ses amis. Leurs chemins se croisent alors que leurs pères se retrouvent en concurrence pour siéger à l'Assemblée départementale. Les deux jeunes filles commencent alors à développer une attraction l'une pour l'autre… Réalisatrice kényane, Wanuri Kahiu était l’auteure d’un premier long métrage, From a Whisper (2009), qui revenait sur les événements déroulés lors des attentats aux ambassades américaines à Nairobi et Dar es Salam en 1998. Cofondatrice d’Afrobubblegum, société de média qui promeut un art africain « dynamique et jovial », elle s’est lancée avec Rafiki dans un projet personnel et courageux. L’homosexualité reste en effet criminalisée au Kenya, comme dans la plupart des pays d’Afrique : même si peu de poursuites sont basées sur le Code pénal, les LGBT kényans font l’objet d’une stigmatisation de la part de la population et d’un harcèlement policier permanent. Financé en coproduction avec la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Afrique du Sud, le tournage de Rafiki dans un quartier animé et vivant de Nairobi est donc un événement en soi. On comprendra alors que la réalisatrice ait préféré opter pour un ton en demi-teinte, filmant cette histoire sentimentale avec une pudeur extrême, loin du filmage frontal de la sexualité voulu par Abdellatif Kechiche dans La Vie d’Adèle, ou de l’évocation de la dureté des rapports humains cernés par un Fassbinder dans Les Larmes amères de Petra van Kant.

« J’espère avant tout que mon film sera vu comme une ode à l’amour, qui ne se passe jamais sans heurts, et comme un message d’amour et de soutien à ceux d’entre nous qui doivent choisir entre l’amour et la tranquillité. Je voudrais que ce film pousse un cri, là où des voix ont été tues », a précisé la cinéaste. Pour atteindre ces bonnes intentions, elle a choisi une narration linéaire et un traitement classique, sans scénario surécrit, tout en s’inscrivant dans la lignée d’œuvres ayant abordé la thématique de l’homosexualité chez les jeunes, comme le délicat téléfilm Baisers cachés de France 2, qui était toutefois très explicatif. Le mérite de Wanuri Kahiu est de ne pas tomber pas dans les pièges du film à thèse ou de la romance à bon marché : un échange de regards suffit à suggérer la montée du désir ; le silence pesant d’une mère, ou une séance d’exorcisme au cours de laquelle on essaye d’extirper ce qui est perçu comme diabolique permettent à la cinéaste de montrer le choc des générations ou le dilemme entre tradition et modernité. C’est ce qui fait la beauté de cette œuvre qui ne force pas le trait, quitte à ne pas approfondir la question de l’homophobie, réduite à la séquence où Kena et Ziki subissent les sarcasmes des forces de l’ordre après avoir été victimes d’une agression physique. Et même si Rafiki souffre d’un budget réduit et de certaines maladresses techniques, ses qualités suffisent à le recommander. Premier film kényan à être montré à Cannes, il a suscité la désapprobation des autorités de Nairobi qui ont d'ores et déjà annoncé son interdiction d’exploitation au Kenya.

Gérard Crespo



 

 


1h22 - Afrique du Sud, Kenya, France, Pays-Bas, Allemagne - Scénario : Wanuru KAHIU, Jenna BASS - Interprétation : Samantha MUGATSIA, Sheila MUNYIVA.

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