Téhéran Tabou
Tehran Taboo
de Ali Soozandeh
Semaine de la Critique











Trois femmes

Une prostituée dont le conjoint est en prison se bat pour obtenir un logement décent et inscrire son enfant dans une école. Une mère de famille modèle étouffe dans son appartement cossu et souhaiterait obtenir un emploi. Une jeune fille dont le mariage est proche perd sa virginité avec un étudiant en musique et craint les représailles de son futur époux… Ali Soozandeh a étudié l’art en Iran avant de partir vivre en Allemagne en 1995. Il a participé à plusieurs projets d’animation pour le cinéma et la télévision. Téhéran Tabou, son coup d’essai au long métrage, est un réel coup de maître. Un tel scénario sulfureux n’aurait pas eu l’aval des commissions de censure et du ministère en Iran ; aussi le film a-t-il été réalisé à l’extérieur de ce pays, en coproduction avec l’Allemagne et l’Autriche. Mais l’action se déroule bien à Téhéran, les dialogues sont en iranien, et le cinéaste s’est entouré d’acteurs et de techniciens qui pour la plupart sont des compatriotes. Le premier intérêt du film est d’abord dans son procédé technique. L’animation a été conçue avec la rotoscopie : cela permet au récit d’être filmé avec d’authentiques comédiens sur fond vert, créant par là-même un double effet de réalisme et de décalage, qui n’est pas sans rappeler les expérimentations d’Ari Folman dans Valse avec Bachir. La beauté du graphisme et des cadrages n’occulte pas la force dramatique d’un film qui dénonce l’oppression sociale, dans la sexualité surtout, mais aussi sur la créativité artistique et culturelle en général. Il baigne dans Téhéran Tabou une noirceur rarement présente dans le cinéma d’animation, à peine tempérée par l’humanité de certains personnages. Car dans ce film en partie choral, on s’attache vite aux protagonistes à la fois combatifs et découragés, et qui vont se croiser au fil des péripéties.

Leurs tourments mettent en exergue une société iranienne étriquée et glaçante, tant le pouvoir religieux et patriarcal étouffe toute velléité d’indépendance et de liberté  : les femmes sont contraintes d’avorter dans la clandestinité ou de demander une autorisation pour exercer une activité professionnelle, la justice administrative est rendue par des membres du clergé faisant la pluie et le beau temps au nom de préceptes moraux d’un autre âge, l’hypocrisie est le comportement social normatif, le banquier machiste ou le juge rigide n’hésitant pas à satisfaire leurs fantasmes auprès des mêmes prostituées qu’ils méprisent au grand jour. On ne saurait pour autant qualifier le film de féministe : le jeune musicien ne parvenant pas à obtenir l’accord des autorités pour son projet ou sommer de rassembler l’argent afin de payer une opération est lui-même victime d’un système aliénant. Dans un monde où les adultes sont prêts à tous les compromis pour tenter de vivre vainement leur existence, le petit garçon muet de la fille de joie symbolise l’innocence d’une nouvelle génération assistant avec impuissance à un décervelage de masse. « Je pense que si individuellement, nous changeons peu à peu de comportement, alors la société sera meilleure. Je ne souhaite pas de changement radical et immédiat comme la révolution. Ça ne marche pas et ça n’a jamais marché. Je préfère une solution plus longue et plus durable comme l’éducation par exemple », a déclaré Ali Soonzandeh dans un entretien avec Arthur Champilou sur le site avoir-alire. C’était déjà le message implicite de Persepolis, de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, autre film d’animation auquel il est difficile de ne pas penser après la vision de ce Téhéran Tabou, bel objet novateur et poignant.

Gérard Crespo

 



 

 


1h36 - Allemagne, Autriche - Scénario : Ali SOOZANDEH - Film d'animation - Interprétation : Elmira RAFIZADEH, Zar Amir EBRAHIMI, Arash MARANDI.

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