Mal de Pierres
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L'image du souvenir Gabrielle a grandi dans la petite bourgeoisie agricole où son rêve d’une passion absolue fait scandale. À une époque où l’on destine d’abord les femmes au mariage, elle dérange, on la croit folle. Ses parents la donnent à José, un ouvrier saisonnier, chargé de faire d’elle une femme respectable. Gabrielle dit ne pas l’aimer, se voit enterrée vivante. Lorsqu’on l’envoie en cure thermale pour soigner ses calculs rénaux, son mal de pierres, un lieutenant blessé dans la guerre d’Indochine, André Sauvage, fait renaître en elle cette urgence d’aimer. Ils fuiront ensemble, elle se le jure, et il semble répondre à son désir. Cette fois on ne lui prendra pas ce qu’elle nomme « la chose principale ». Gabrielle veut aller au bout de son rêve... Adapté du roman Mal di pietre de Milena Agus (Éditions Liana Levi), ce film sensible et touchant confirme les qualités d’écriture de Jacques Fieschi et l’élégance de style de Nicole Garcia. Il s’agit de leur huitième collaboration. Si celle-ci a pu trouver des baisses de régime avec Selon Charlie ou Un Balcon sur la mer, Mal de Pierres, après l’émouvant Un Beau dimanche, s’avère une réussite romanesque. La structure en flash-back, bien que peu novatrice, permet de mieux cerner les motivations d’une jeune femme prise au piège de ses sentiments et des préjugés d’une société archaïque. Folle, ou perçue comme telle par la petite communauté qui la stigmatise, Gabrielle ne renonce pas à ses rêves et montrera, même inconsciemment, de quoi son amour grandiose est capable. « Ce destin de femme incarne pour moi la forme de l’imaginaire, la puissance créatrice dont nous sommes tous capables lorsque nos aspirations, nos sentiments, nous conduisent aux extrémités de nous-mêmes, à notre propre dépassement », a déclaré Nicole Garcia, qui s’est approprié le matériau initial, s’éloignant de la trame du roman sans en trahir l’esprit. |
Il en ressort un récit alliant simplicité narrative et complexité psychologique des personnages, qui flirte un temps avec le fantastique mais sans s’y frotter véritablement (ce qu’ont déploré certains), préférant la suggestion et l’installation du doute aux ruptures radicales de ton et de genre. On est bien sûr à mille lieues des fulgurances de Max Ophuls (Madame de...) ou Jane Campion (La Leçon de piano), qui ont filmé la passion dévorante avec plus d’ardeur. Mais Nicole Garcia n’a pas l’ambition de renouveler les formes cinématographiques et s’inscrit davantage dans la lignée du classicisme maîtrisé du Claude Sautet de Un Cœur en hiver ou du Claude Miller de Un Secret. Il va sans dire que ce cinéma est largement porté par l’équipe artistique et technique ainsi que l’interprétation. La photo de Christophe Beaucarne (L'Écume des jours) joue habilement des contrastes entre les cadres spatiaux (campagne, mer, montagne, ville) dans lesquels se meut l’héroïne, quand la musique de Daniel Pemberton (Steve Jobs) apporte un lyrisme réel mais discret. Marion Cotillard incarne avec grâce une Gabrielle en borderline, qui fait écho au personnage campé par Nathalie Baye dans Un Week-end sur deux, le premier long métrage de Nicole Garcia. Après De Rouille et d'os et Deux jours, une nuit, l’actrice montre une autre facette de son talent et n'aurait pas démérité pour un prix d’interprétation. On remarquera aussi les compositions d’Alex Brendemühl (le mari) et Brigitte Roüan (la mère), parfaits dans des rôles qui auraient pu conduire à des excès. L’ensemble est donc d’une belle tenue et confirme le talent d’une réalisatrice que d’aucuns s’obstinent à dénigrer. Gérard Crespo
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2h - France - Scénario : Jacques FIESCHI, Nicole GARCIA, d'après le roman de Milena Agus - Interprétation : Victor QUILICHINI, Marion COTILLARD, Alex BRENDEMÜHL, Louis GARREL, Aloïse SAUVAGE, Victoire DU BOIS. |