Le Décalogue 6 : Tu ne seras pas luxurieux |
Le voyeur Tomek observe sa voisine, Magda, à l'aide d'une longue-vue. Il réussit à vaincre sa timidité et finit par la rencontrer. C'est un fiasco. Il tente de se suicider. Magda vient alors vers lui... Le film fait partie de la série Le Décalogue, réalisée par Kieslowski pour la télévision polonaise. Après l’impact de Tu ne tueras point, il sortit en France en 1989 dans un format plus long sous le titre Brève histoire d’amour, avant d’être intégré à nouveau à l’ensemble pour une sortie en salle globale. MK2 distribue en 2016 une version comprenant l’intégralité de la série, à la suite d’un travail de restauration supervisé par les chefs-opérateurs de l’œuvre. Inspirés des dix commandements et de l’Ancien Testament, ces dix épisodes de moins d’une heure montrent les habitants d’un immeuble de Varsovie confrontés à des choix moraux majeurs, Kieslowski, proposant une vision humaniste sur la question de la responsabilité et de la place de l’homme dans la société. Comme Tu ne tueras point, l’épisode 6 est découpé en trois parties : l’espionnage, la rencontre et les séquelles. On assiste également à un puzzle narratif puisque la personnalité et les gestes des protagonistes s’avéreront ambigus et en trompe-l’œil. Tomek est-il un jeune homme pervers ou un amoureux romantique ? Magda est-elle une victime ou une allumeuse ? Une femme blessée ou une manipulatrice ? Le mérite de Kieslowski et de ne pas les juger, et de proposer une sublime partition sur les aléas des sentiments et les frontières poreuses entre la sincérité et le mensonge, l’innocence et la cruauté. Les hésitations de Magda annoncent ainsi le revirement de Juliette Binoche dans Bleu. |
D’ailleurs, le caractère romanesque de cet épisode préfigure l’ensemble de trilogie des Trois couleurs qui marquera l’apogée de l’art de Kieslowski. Mais le cinéaste refuse de jouer sur la corde sensible, de même que son petit théâtre des hasards et coïncidences ne tombe jamais dans la roublardise ou la manipulation de spectateur. L’ombre de Bergman plane indiscutablement dans cette radioscopie d’êtres à la dérive, mais on songe aussi à Hitchcock auquel Kieslowski se réfère : Tomek observe Magda comme Norman Bates matait Marion Crane dans Psychose, de même que son comportement est similaire à celui de Jeff (James Stewart) dans Fenêtre sur cour. Et la logeuse bienveillante mais inquiète semble au carrefour des figures incarnées par Grace Kelly et Thelma Ritter dans ce dernier film. Mais réduire Tu ne convoiteras pas la femme d’autrui à ces influences serait nier la véritable singularité de cette œuvre au troublant dénouement ouvert, sublime méditation mélancolique sur la solitude, et modèle d’épure filmique. « Ce que je cherche ne se trouve ni dans les actes, ni dans les événements mais quelque part au plus profond de l’homme. C’est là un jour que j’aimerais bien aller avec la caméra », avait déclaré Kieslowski. Cet épisode du Décalogue prouve que les ambitions du cinéaste avaient porté leurs fruits. Il faut souligner enfin aussi le jeu puissant des deux interprètes. Olaf Lubaszenko a la fragilité et la grâce d’un Edward Furlong, quand la ténébreuse Grazyna Szapolowska incarne avec brio un rôle difficile. Gérard Crespo
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1988 - 58 mn - Pologne - Scénario : Krzysztof KIESLOWSKI, Krzysztof PIESIEWICZ - Interprétation : Miroslaw BAKA, Grazyna SZAPOLOWSKA, Olaf LUBASZENKO, Stefania IWINSKA, Piotr MACHALIKA. |