L'Étage du dessous |
Le crime était presque parfait En rentrant chez lui, Pătrașcu perçoit derrière une porte au deuxième étage de son immeuble les bruits d’une violente dispute amoureuse. Quelques heures plus tard, le corps d’une femme est découvert. Ses soupçons se portent sur Vali, le voisin du premier. Et pourtant Pătrașcu ne se rend pas à la police... même lorsque Vali commence à s’immiscer dans sa vie et dans sa famille. Dans Mardi après Noël, son précédent film, Radu Muntean filmait un triangle adultère avec exaltation et sans aucun jugement moral. Le cinéaste roumain reproduit la geste avec la même honnêteté dans L’Étage du dessous, chronique d’un cas de conscience latent empoisonnant peu à peu le quotidien de Pătrașcu. Parce que celui-ci n’a pas réagi lors de la dispute tumultueuse de ses voisins et préféré plus tard garder le silence lors de l’enquête, le remord contamine chaque strate de son espace vital. Pour lui, cette inoculation du regret se matérialise par les multiples apparitions de Vali. Probable projection mentale, ce dernier fait chaque fois irruption de manière brutale au sein des plans séquences. C’est lui qui révèle à Pătrașcu sa position de voyeur lorsqu’il le surprend subitement sur le palier pendant la querelle. Et ce sera encore lui qui lui rappellera inéluctablement son mensonge au commissaire. Outre les scellés de l’appartement - plaie béante - renvoyant au supposé meurtre, devant lesquels passe chaque jour Pătrașcu pour rejoindre son domicile, celui-ci doit affronter symboliquement Vali à plusieurs reprises. En découlent des séquences placées sous le signe de la claustration mentale et physique : c’est le cas du duel psychologique de l’entrée de l’immeuble, de la cage d’escalier, de l’appartement ou encore de la voiture. Une rigueur suscitant l’oppression avec une économie de moyens sidérante, mais frisant trop le systématisme. |
L’intelligence de Radu Muntean reste néanmoins de placer l’étage du dessous - l’espace physique où s’est déroulé l’assassinat - comme la clé de voûte du dilemme moral, le point névralgique de tout un espace mental. Le dysfonctionnement de ce recoin situé à quelques mètres de l’appartement de Pătrașcu remet en cause tout son équilibre psychologique. Le fait de débuter le film avec Pătrașcu trottinant avec son chien tout en illustrant sur son affection pour l’animal, juste avant d’assister impassible ou presque aux prémisses du drame, n’est en rien un moyen de le rendre coupable. Radu Muntean cherche au contraire à suggérer au spectateur de s’identifier au personnage. Dispositif qui fonctionne à merveille, même si l’ensemble se révèle un peu plat et attendu. Reste quelques séquences judicieuses pour souligner comment chacun fait abstraction de sa part d’humanité au quotidien, comme cet instant où Pătrașcu enclenche par inadvertance un jouet pour enfant dans la voiture de l’un de ses clients. Faut-il y voir là encore une parabole politique de l’ère post-Ceausescu ? Peut-être, tant L’Étage du dessous cultive son statut de rejeton de la Nouvelle vague roumaine à tous les niveaux. Cette aridité assez symptomatique de la mise en scène, où le réalisateur s’efface au profit du propos, a le mérite de traiter avec égard et le sujet et le spectateur. Mais manque un grain de folie, quelque chose qui élèverait L’Étage du dessous - et sa conclusion discutable - au-delà du simple archétype conforme aux attentes des festivals étrangers. Gageons que pareil procédé ne devienne pas à terme un simple label. Alexandre Jourdain En collaboration avec le site aVoir-aLire
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1h33 - Roumanie, France, Suède - Scénario : Razvan RADULESCU, Alexandru BACIU, Radu MUNTEAN - Interprétation : Teodor CORBAN, Iulian POSTELNICU. |