L'Étreinte du serpent |
La forêt interdite Karamakate, chaman amazonien, le dernier survivant de son peuple, vit isolé dans les profondeurs de la jungle. Il est devenu un chullachaqui, la coquille vide d’un homme, privée d’émotions et de souvenirs. Sa vie bascule lorsqu’Evan, un ethnobotaniste américain, débarque dans sa tanière à la recherche de la yakruna, une mystérieuse plante hallucinogène capable d’apprendre à rêver. Karamakate se joint à sa quête et ils entreprennent un voyage au cœur de la jungle... Troisième long métrage de Ciro Guerra, L'Étreinte du serpent est librement inspiré des travaux écrits de Theodor Koch-Grunberg, ethnologue et explorateur allemand, et de Richard Evans Schultes, botaniste américain, les deux hommes ayant entrepris un périple dans la forêt amazonienne à quelques décennies d'intervalle. Ces précisions ne sont indiquées qu'au générique de fin ce qui peut rendre parfois le récit un brin abscons, le spectateur ne sachant pas trop s'il assiste à deux histoires parallèles ou une structure en flash-back. Il faut dire que la teneur ésotérique de l'intrigue ne l'aide guère, le réalisateur n'hésitant pas en outre à brouiller les pistes et à mêler approche ethnologique à la Jean Rouch, dénonciation politique et récit allégorique où planent les ombres du Werner Herzog de Aguirre, la colère de Dieu, du Coppola de Apocalypse Now ou du Boorman de La Forêt d'émeraude. |
Ces précisions ne constituent en rien une réserve mais plutôt un avertissement à ceux qui s'attendent à un produit consensuel de festival, flattant la bonne conscience ou le goût inconscient du public occidental pour l'exotisme et la belle image. Il faut à cet égard souligner l'imposture de l'affiche officielle du film, en couleur, avec l'expression « Un rêve amazonien » comme accroche publicitaire... Le film est certes esthétiquement très soigné, mais usant d'une photo noir et blanc sobre et sans effets, et d'un dépouillement tant visuel que sonore (la musique est rare). Des personnages sortis d'un roman de Gabriel Garcia Marquez ou d'un trip d'Apichatpong Weerasethakul font glisser le film sur la pente de l'onirisme voire de l'horrifique avec les apparitions d'un prêtre totalitaire qui flagelle des enfants innocents ou d'un Messie gourou qui propose littéralement son corps à ses fidèles. L'œuvre ne se contente pas d'être le témoignage des ravages de la colonisation, de la religion occidentale et du capitalisme (le commerce du caoutchouc) dans une région économiquement et culturellement dévastée (disparition des langues ancestrales). Ciro Guerra opte pour une narration éclatée qui joue sur nos terreurs face aux mystères d'un monde inconnu. On l'aura compris : L'Étreinte du serpent est tout sauf un film aimable et agréable mais ceux qui oseront s'y aventurer ne seront pas déçus par sa force tellurique. Gérard Crespo
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2h05 - Colombie, Venezuela, Argentine - Scénario : Ciro GUERRA, Jacques TOULEMONDE VIDAL - Interprétation : Jan BIJVOET, Brionne DAVIS, Luigi SCIAMANA, Nibio TORRES, Antonio BOLIVAR. |