Mommy |
« Maman !!! » C’est avec fulgurance que Mommy a éclaté au neuvième jour du Festival, remettant dangereusement en question une Palme d’or jusqu’ici bien ancrée sur Winter Sleep. Classée « coup de cœur du public », cette explosion de talents a donc dû se contenter d’un prix du Jury. Peut-être a-t-on soufflé à l’oreille dudit jury que ce gamin hyperdoué qu’est Xavier Dolan était trop jeune pour la récompense suprême. Ne l’était-il pas déjà en 2012 pour émarger en compétition avec son bouleversant Laurence anyways ? C’est du sport de suivre les dialogues hallucinés, où même un Québécois ne s’y retrouverait pas. C’est ce qui arrive d’ailleurs à la directrice de cette institution pour enfants difficiles qui somme Diane « Die » de bien vouloir récupérer son rejeton, lequel vient de mettre le feu à la baraque, brûlant gravement un de ses pensionnaires. Steve a mal encaissé la mort de son père voici trois ans. Il est classé TDAH (Trouble Déficit de l’attention Hyperactivité). Ce que par euphémisme on pourrait appeler des écarts de langage se déversent d’autant plus sur l’interlocutrice de Diane, lorsque se profile un éventuel placement en institution psychiatrique fermée. Pas question qu’elle mette son « gars » là-dedans. La mère et le fils repartent donc ensemble : elle avec son look racoleur, son langage de charretier et un gros boulet sur les bras ; lui, incontrôlable, violent, impulsif, ne supportant aucune contrainte, ni contrariété. Entre eux, les flots d’injures, les crises de nerfs, les pétages de plomb atteignent un paroxysme rarement égalé, surtout lorsque Steve refuse d’avaler les cachetons qui le stabiliseraient un tant soit peu. Face à ces deux grandes gueules, apparaît la douce et discrète Kyla, voisine enseignante sur la touche depuis deux ans pour cause de blocage de langage. Au départ assez improbable, ce curieux trio tisse des liens difficiles mais un peu plus forts chaque jour : Diane l’invincible, Kyla la magicienne et Steve l’antihéros. |
Pourtant la combattante devra baisser les bras, la fée disparaîtra comme elle est apparue, le fou d’amour pour sa mère ira se calmer ailleurs. Car après J’ai tué ma mère, Xavier Dolan était loin d’en avoir fini avec le sujet : à l’époque, il voulait la punir, avec Mommy il vient la venger. « C’est elle, quoi qu’on fasse, qui aura le dernier mot, dans ma vie. » avoue-t-il. L’une des trouvailles du film est cet écran carré, qui recadre obligatoirement le regard sur le sujet. Le temps de quelques courtes séquences d’accalmie dans la vie chaotique de ces trois personnages magnifiques – une balade en skate, un pique-nique banal, le rêve d’un mariage normal – l’écran s’élargit. Pas longtemps. La scène, d’une rare violence, au cours de laquelle Diane « livre » son fils aux mains de l’institution supposée adéquate est absolument déchirante. Elle le dispute en émotion à celle où Kyla fait ses adieux à Diane, la laissant totalement seule, sa vie en miettes, à l’instar de cette précédente séquence où son fragile sac de course cède sous le poids de son contenu, brutalement projeté sur le bitume. Dans ce qu’il qualifie justement de « fable rayonnante sur le courage, la transmission, l’amour et l’amitié », Dolan cumule tous les métiers de cinéma, excepté cette fois-ci celui d’acteur. Et justement, il fait comme d’habitude la part belle à ses interprètes, qu’il aime de toute évidence, pas leurs performances, mais leurs personnages, respectant les rêves et les émotions de chacun : à Anne Dorval et Suzanne Clément, il offre les plus beaux rôles dont on puisse rêver. Quant à Antoine-Olivier Pilon, c’est indubitablement une révélation. Il crédite son personnage hyper speedé d’une palette d’émotions illimitée selon son état : en ruptures incessantes, Steve fout la trouille et attaque de front le spectateur. C’est tout l’art de Xavier Dolan de savoir s’adresser aux gens en direct, sans intermédiaire ni faux artifices. Marie-Jo Astic
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2h20 - Canada, France - Scénario : Xavier DOLAN - Interprétation : Anne DORVAL, Antoine-Olivier PILON, Suzanne CLÉMENT, Patrick HUARD. |