Laurence anyways
de Xavier Dolan
Sélection officielle
Un certain regard

Prix d'interprétation féminine : Suzanne Clément
Queer Palm


Sortie en salle : 18 juillet 2012




Je vole la vie à celle que j’ai rêvé d’être

La filmographie de Xavier Dolan, qui a toujours suscité autant de fans que de détracteurs, file jusqu’à présent le parfait amour avec le Festival : révélé à la Quinzaine avec J’ai tué ma mère en 2009, on retrouve ses Amours imaginaires à Un certain regard en 2010 et rebelote cette année pour Laurence anyways. Presque parfait, car pour ce dernier film le réalisateur, contre l’avis de Thierry Frémaux, pensait pouvoir prétendre à la compétition officielle. À très juste titre.

Coup de cœur, coup au cœur, cet étourdissant mélodrame réinvente avec lyrisme les outrances et les fulgurances de Xavier Dolan, sa matière première, laissant le spectateur sous le charme, voire l’envoûtement, au cours de 2 heures 40 qui passent comme un souffle.

1989, Montréal. Laurence fête ses trente ans en compagnie de Fred, sa compagne, et d’amis. La normalité, l’« utilité de ceux qui se targuent d’être normaux », est sur la sellette, qui se conjugue avec le profond amour qu’éprouve Laurence pour les femmes, au point de souhaiter en être une.

Première rupture de ton, la conversation foisonnante et confuse laisse place à l’ambiance plus dépouillée d’une interview que Laurence Alia – « comme les sanitaires » – accorde en 1999 à l’occasion de la sortie de son livre Éloge de la norme et dont la voix off reviendra régulièrement en contrepoint de son histoire vécue. Qui nous ramène donc à nouveau dix ans en arrière, alors que Laurence est professeur de littérature, sujet à part entière dans la cinématographie de Xavier Dolan, tout comme l’est la musique.

Laurence a mal d’être lui, mal à en mourir avoue-t-il dans un coming out bouleversant, suffisamment en tout cas pour décider de franchir le pas vers une féminité avec laquelle il sent ne faire qu’un. Suffisamment aussi pour débarquer en classe maquillé et habillé en femme, équipé de boucles d’oreilles, tout en conservant sa coupe de cheveux très courts et s’installer à son bureau de professeur sous les portraits de Descartes, d’Aristote, de Darwin. « C’est une révolte » lui suggère un collègue le fameux jour de la présentation : « Non sire c’est une révolution » rétorque Laurence, fier de jouir de sa liberté toute neuve et de mettre en pratique le poème d’Eluard dont un extrait est tatoué au creux de son dos.

Ne considérant que l’image outrancière et oubliant les leçons des philosophes, une partie des parents porte plainte et, la transsexualité étant reconnue maladie mentale, Laurence sera viré. Il s’en fout, son seul souci reste Fred dont il reste éperdument amoureux et qu’il fantasmerait volontiers en homme. Il encaisse aussi les coups, la détresse, la distanciation cynique de sa mère et trouve un rien de tendresse et une nouvelle famille au look confusionnel, auprès des Five Roses, protagonistes baroques d’une scène mémorable.

Car, c’est la force du film, on se souvient de tout dans ce dédale de ruptures et de retrouvailles, dans cette vie comme elle va désormais entre Laurence et Fred, entre blessures, défis, renoncements et amour fou. Aux côtés de Melvil Poupaud et de la révélation Suzanne Clément, Nathalie Baye compose un réjouissant personnage, affichant indécemment son absence totale de sentiment maternel, que la mutation de Laurence finira cependant par éveiller : « Je ne t’ai jamais considéré comme mon fils. – Je ne t’ai jamais considéré comme ma mère »… « Maintenant, je crois que je te vois comme ma fille ».

Parmi l’éclectisme des musiques additionnelles, de Prokofiev à Céline Dion, chacun est libre de se souvenir de celle qui à son sens accompagne le mieux l’histoire, comme la voix merveilleuse de Jeanne Moreau qui égrène le non moins merveilleux verbe de Bassiak/Rezvani et les jolies harmonies de Ni trop tôt ni trop tard. En ces late eighties - early nineties où les préjugés commençaient à marquer le pas, le temps était en effet venu pour Laurence de s’accepter et se faire accepter.

Montréal, Paris, Trois-Rivières, île au Noir, de pluies en pleurs, de néons en artifices, de neige en brumes, l’image est en perpétuelle métamorphose guidant Laurence dans les arcanes de son identité.

Histoire d’amour made in Dolan, Laurence anyways est un hymne éclatant à la brillance, à l’ironie et à l’élégance tout autant qu’une victoire du fantasme sur la névrose.

Marie-Jo Astic

 

 

 


2h41 - Canada - Scénario : Xavier DOLAN - Interprétation : Melvil POUPAUD, Suzanne CLEMENT, Nathalie BAYE.

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