Mystery |
Autopsie d'un meurtre Condamné à cinq ans d'interdiction de tourner à la suite de la présentation de Une jeunesse chinoise à Cannes en 2006, Lou Ye réalise son grand retour sur sa terre natale, après le semi-ratage de Nuits d'ivresse printanière, tourné dans la clandestinité. Polar sublime doublé d'un joli film d'amour, Mystery aurait eu sa place en compétition officielle, à la place de l'inégal L'ivresse de l'argent, même si nous estimons que les œuvres de qualité doivent être présentes dans toutes les sections. Le récit démarre fort, avec un accident de la route qui coûte la vie à une jeune femme sur laquelle s'acharne un chauffard hystérique, sous une pluie battante. Une structure en flash-back est ensuite élaborée, qui permet des va-et -vient entre le passé des protagonistes et une enquête qui s'annonce plus complexe que prévue. Loin de la confusion narrative de son précédent film, Lou Ye propose un puzzle fascinant mais obscur qui se clarifie avec les avancées de l'intrigue, sans avoir recours aux effets gore et retournements de situation téléphonés et grotesques dont est friand tout un pan du cinéma contemporain. Reprenant un certain canevas hitchcockien, Lou Ye ne cherche pas à refaire Psychose mais reprend le schéma qui consiste à entamer une dimension criminelle seulement après un tiers de film. Nous assistons ainsi à une chronique amoureuse et familiale pendant une trentaine de minutes, en suivant les aventures extra-conjugales de Yongzhao, marié à Jie et menant une double vie avec sa maîtresse. Un jour, son épouse le surprend en train d'entrer dans un hôtel avec une jeune femme, celle-là même dont le corps sera retrouvé sur le bord d'une autoroute. Le récit prend aussi une double dimension à travers le personnage de Feng, l'officier chargé de l'enquête, qui refuse de croire à un accident... |
Le cinéaste chinois est formel : « Je me suis opposé pendant cinq ans. Aujourd'hui, je me suis décidé à coopérer avec ce système. Il repose aussi bien sur l'existence des censurés que sur celle des censeurs ». Loin de réaliser un film de commande, il fait mine de coopérer pour proposer une critique sociale plus implicite, comme surent le faire en leur temps Buñuel, Bardem ou Saura sous le franquisme. Lou Ye s'est inspiré du blog d'une jeune mère de famille trompée par son époux et y a greffé une intrigue policière également inspirée de faits divers trouvés sur le Web. Ce dosage enrichit un récit dans la lignée des Diaboliques ou de certains De Palma. Mais à travers cette histoire, le réalisateur a voulu « montrer la vie quotidienne en Chine aujourd'hui » tout en dénonçant la corruption d'une certaine bourgeoisie, en complicité avec la police. Le film évite toute surenchère inhérente au genre, aussi bien dans la violence que dans la typologie des personnages, et il est surprenant que les autorités du Bureau du film aient demandé à Lou Ye d'ajouter un carton (supprimé à Cannes) précisant que chaque protagoniste connaît le sort qu'il mérite... Formellement, l'œuvre est brillante dans son montage et son découpage et montre que Lou Ye n'a rien à envier aux Park Chan-wook, Kim Jee-woon et autres nouveaux maîtres du polar asiatique. Voici donc l'un des meilleurs films de la section Un Certain Regard dont on peut regretter qu'il n'ait été gratifié d'aucun prix. Gérard Crespo
|
1h30 - Chine - Scénario : MEI Feng, YU Fan, LOU Ye - Interprétation : QIN Hao, HAO Lei, QI Xi. |