Poetry |
« Chanson d’Agnès » Révélé à Cannes par la Quinzaine des réalisateurs en 2000 avec Peppermint candy, Lee Chang-dong reprend sur un ton en apparence plus apaisé le thème du deuil abordé en 2007 dans Secret sunshine : la femme blessée cède la place à la grand-mère meurtrie. Yun Jung-hee, star sud-coréenne aux 330 films qui revient après quinze ans d’interruption de carrière, fut d’ailleurs une très sérieuse prétendante au prix d’interprétation d’une œuvre qui aurait pu cumuler de nombreuses récompenses, et en tout cas le prix de la mise en scène de préférence à celui du scénario qui lui a bizarrement été attribué. La trame de l’histoire, loin d’être accessoire, passe en effet au second plan par rapport à son traitement subtil, parce que transparent et complexe à la fois, qui fait la beauté de Poetry et interroge sur le sens que peut revêtir aujourd’hui l’acte d’écriture d’un poème. Pour Mija, coquette et fraîche soixantenaire, c’est inconsciemment la fuite des mots que commence à lui rendre perceptible un début d’Alzheimer qu’elle va chercher à compenser à travers l’approche de la poésie mais aussi un palliatif à l’indifférence et un contrepoids face à un monde violent, dans lequel son petit-fils est directement impliqué. Mija travaille dur chez un vieil infirme pour vivre et élever seule Wook, ado en tous points exécrable. Elle comprend vite qu’il est l’un des auteurs de la tournante commise dans son collège et qui a poussé la jeune Agnès au suicide. Au cours de poésie où elle s’est inscrite, elle apprend enfin à voir plutôt que regarder, à entendre plutôt qu’écouter : Mija sait le nom des fleurs, comprend le chant des oiseaux, trouve des mots de substitution à ceux qui se sont enfuis. |
Le propos de ce film ambigu et solaire, tient tout entier dans la première image qui inscrit en plein écran le mot « poetry » sur le cadavre d’une jeune fille dérivant sur le fleuve Han, fleuve où s’accomplit également la scène ultime qui témoigne avec lyrisme de la fusion d’identité et de perception entre Mija et Agnès, lorsque le poème de Mija se fait lettre d’Agnès. Mija, personnage lunaire, envoûtant tout autant que dérisoire, en proie à un étonnement perpétuel et entêtant qui semblerait être l’apanage de l’âge et de la mémoire qui flanche, donne au récit et à la peinture à la fois force et légèreté. Simplicité d’un être qui occupe un espace aussi ténu qu’infini, humilité d’un réalisateur qui concède volontiers la dimension illusoire de l’évasion que la poésie est censée apporter. Intangible et perfide, la maladie libère Mija de la pesanteur du monde et accompagne la rédemption d’un esprit qui se vide, l’histoire hésite sans cesse jusqu’à trouver son fragile point d’équilibre. Poetry est un film puissant et rayonnant qui surprend à chaque séquence et se vit dans l’instant. Dans cette fuite du bonheur avant qu’il ne se sauve, Lee Changdong laisse ouverte la page où chacun pourra écrire la fin du poème. Marie-Jo Astic
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2h15 - Corée du Sud - Scénario : LEE Chang-Dong - Interprétation : YUN Jung-hee. LEE David, Kim HURA. |