Carancho
de Pablo Trapero
Sélection officielle
Un certain regard
palme

Sortie en salle : 2 février 2011




« ¡ Tranquilo ! ¡ Tranquilo ! »

L’excellent duo d’acteurs de Carancho permet de retrouver Ricardo Darin (XXY de Lucía Puenzo présenté en 2007 à la Semaine de critique) et Martina Gusman, égérie de Pablo Trapero, qui tenait le rôle titre de Leonera en compétition en 2008, mais que l’on trouvait également en 2002 à l’affiche de El Bonaerense (Un certain regard), cette police très spéciale de Buenos Aires.

Au même lieu dit, Trapero pose cette fois sa caméra sur le bitume de la capitale argentine (dont l’avenue 9 de Julio est réputée la plus large du monde), féconde en accidents de la circulation, et établit la connexion avec les parties prenantes à l’arnaque à l’assurance généralisée, juteux marché brassant des millions de pesos, sorte d’économie parallèle favorisée par le laisser-faire de l’État et de la loi.

Juteux mais dangereux, si l’on en juge par la première scène de tabassage et la gueule ensanglantée de l’intéressé, à la suite d’une opération qui a mal tourné. Sosa, c’est son nom, s’est forgé une solide réputation en tant qu’avocat spécialisé dans ce trafic et travaille pour le compte de la Fondation, en attendant de récupérer sa licence. Il est le carancho par excellence, le rapace qui rôde dans les hôpitaux et les entreprises funéraires pour « lever des clients », sous prétexte de venir en aide aux victimes ou à leurs familles. Il trouve les témoins, les preuves, « s’arrange » avec la police, le juge, la compagnie d’assurance. Il va même, exploitant la misère jusqu’à la lie, jusqu’à susciter des vocations de victime volontaire, qu’il faut préparer, c’est-à-dire qu’il doit déjà bien abimer le candidat pour que l’accident bidonné de bout en bout fasse le plus vrai possible.

La route de Sosa devait inévitablement croiser celle de Luján, urgentiste, infirmière, ambulancière, qui dort peu et partage elle aussi son temps entre l’hôpital et la chaussée. Lors d’un crash, elle tente de sauver un homme que de son côté Sosa drague comme client. Dans une société qui n’a pas de temps à perdre avec les états d’âme, l’amour qui naît entre Sosa, le vautour, et Luján, la junkie, est principalement basé sur l’acceptation de soi et de l’autre.

Souvent filmées en gros plan, les profondes blessures des personnages se lisent sur les visages et sur les corps. Histoire de feu et de sang, histoire d’amour perdue d’avance, la violence de ce film de haute mortalité culmine dans les dernières scènes, qui prennent place au bien nommé quartier de La Matanza (le massacre), banlieue de 2 millions de desdichados, sorte de capitale de la pauvreté du pays, fleuron des inégalités sociales.

Pablo Trapero met en scène avec une talentueuse énergie du désespoir ses thèmes récurrents : profit d’un système charognard, amour mort-né, issue forcément fatale, enfermement qui par rapport à ses précédentes réalisations ménage quand même quelques très fugaces respirations.

Marie-Jo Astic


1h47 - Argentine, France - Scénario : Alejandro FADEL, Martin MAUREGUI, Santiago MITRE, Pablo TRAPERO - Interprétation : Ricardo DARIN, Martina GUSMAN, Dario VALENZUELA.

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