The War Zone

de Tim Roth
Quinzaine des Réalisateurs

Portrait d'une victime

 

Si choisir de traiter à l'écran du thème de l'inceste ne constitue pas en soi une réelle nouveauté, la frontalité de la démarche de ce film aura de quoi étonner -sinon choquer - de nombreux spectateurs. L'histoire de cette famille londonienne nouvellement implantée dans la morne campagne du Devon ne laissera effectivement qu'une place minime et de courte durée au mécanisme du doute, en escamotant au milieu du récit les éventuelles conjectures accompagnant souvent la découverte progressive et horrifiante d'un secret parfois montré comme très équivoque. Ici, le point de vue (à la fois narratif et moral) demeurera de bout en bout celui de Tom, adolescent envahi par l'acné et par la solitude, et l'on sera très vite partie prenante dans cette quête terrible et désespérée d'une vérité et d'une justice dont on sait pourtant par avance qu'elles ne répareront rien de ce qui, irréversiblement, a eu lieu.
Du reste, c'est bien un lieu qui est chargé de concentrer au coeur du film toute la charge à la fois dramatique et symbolique de cette tragédie :

dressé sur un promontoire rocheux face à la grisaille de l'océan, un bunker impose au regard sa masse inébranlable et son volume anguleux. C'est à l'intérieur de cet abri que Tom se réfugie parfois, comme pour s'envelopper d'un blindage de béton armé et échapper ainsi aux tourments provoqués par les soupçons qu'il nourrit au sujet de son père. Or, ce lieu de protection devient, par un troublant effet de réversion, le théâtre même de la scène irrespirable qui coupe le film en son milieu. Ce n'est d'ailleurs pas un des moindres mérites de la mise en scène inspirée et vigilante de Tim Roth, que d'avoir su appréhender, par un usage mesuré de la profondeur de champ et des mouvements de caméra, tout ce que cet endroit cristallise d'obscurité et de violence, transformant ainsi un élément du décor en une sorte d'instance narrative à part entière. Mais la grande réussite de The War Zone tient sans doute au maintien jamais pris en défaut d'une lucidité qui habite constamment le propos du cinéaste : aussi n'est-il pas étonnant que Jessie, soeur aînée de Tom et victime de l'inceste paternel, soit une personne presque adulte et non une jeune enfant.

Ce choix scénaristique semble clairement motivé par une volonté de donner au martyr une voix et une conscience susceptibles d'être perçues sans médiation, et d'éclairer ainsi d'une lumière gênante mais irrépréhensible tout un pan de la relation père-fille, ou plutôt ici bourreau-victime. De cette même volonté procède ainsi une séquence très emblématique, au cours de laquelle Tom utilise une caméra vidéo pour surprendre, à travers l'une des meurtrières du bunker, le crime renouvelé de son père. Véritable mise en abyme de la démarche même du film, la scène agit comme une sorte de révélateur des intentions de Tim Roth : forcer notre regard à rencontrer un point aveuglant, celui où se perpétue le geste effroyable qu'un mot somme toute assez galvaudé ne réussit plus à désigner. Voilà donc ce qu'est l'inceste, osons maintenant le regarder ne fût-ce qu'un instant, quitte à ne pas maintenir ce regard jusqu'au bout : la caméra est là pour nous aider, et pour substituer momentanément son oeil au nôtre. Il est heureux que le cinéma tienne parfois ce rôle.

Daniel Rocchia

1h39 - scénario : Alexander Stuart d'après son roman - images : Seamus McGarvey - décor : Michael Carlin - son : Christian Wangler - musique : Simon Boswell - montage : Trevor Waite - interprètes : Ray Winstone, Lara Belmont, Freddie Cunliffe, Tilda Swinton, Annabelle Apsion, Kate Ashfield...

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