Le Temps retrouvé

de Raoul Ruiz
Sélection Officielle

Raoul Ruiz : à contretemps ?

 

On ne s'étonnera pas que ce film fasse beaucoup parler à la sortie des salles : par un curieux phénomène de mimétisme, le bavardage des dialogues - modulé avec régularité et savoir-faire par des acteurs au demeurant tous en bonne forme - a tendance à se reproduire dans les conversations "éclairées" qui occupent les innombrables spécialistes occasionnels de l'œuvre du grand Proust. Et chacun de montrer à son voisin à quel point telle allusion est reconnaissable, combien la mise en scène réussit ou échoue à transposer l'univers proustien, de comparer avec lui son exaltation ou sa déception (pour déterminer une fois pour toutes qui aura la plus grosse), bref de se livrer à une activité on ne peut plus proustienne qu'on appelle la mondanité. L'adaptation de Raoul Ruiz n'est pas, loin s'en faut, une trahison de l'œuvre littéraire du XXe siècle la plus commentée à défaut d'être la plus connue.

On y trouverait même souvent des traces d'une déférence somme toute assez gênante (une rage de la "ressemblance" qu'illustrent bien les plans où l'on voit M. Mazzarella reproduire avec soin les poses affectées que les photographies et portraits de Marcel Proust ont rendu célèbres). En réalité, le meilleur du film rend vraiment hommage au génie du romancier, mais ces moments demeurent trop rares : il s'agit tout simplement de quelques paragraphes de La Recherche, lus par la voix de Patrice Chéreau. Telle description de la porcelaine utilisée aux repas de l'hôtel de Guermantes se suffit amplement à elle-même, et désigne cruellement la limite illustrative d'une tentative d'équivalence cinématographique écrasée par le surplomb du texte original. Proust est donc intouchable?

Bien sûr que non. Mais il faudrait éviter la contradiction suivante : prétendre à la liberté permise par l'utilisation d'un langage de substitution tout en jouant sur la connivence avec un spectateur supposé a priori comme un lecteur de Proust. Cet élitisme est incompatible avec l'ambition du film. Il ne fait qu'en souligner l'infirmité.

Daniel Rocchia

2h38 - scénario & dialogues : Gilles Taurand, Raoul Ruiz - images : Ricardo Aronovich - décor : Bruno Beauge - musique : Jorge Arriagada - montage : Denise de Casabianca - interprètes : Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart, Vincent Perez, John Malkovich, Pascal Greggory, Marcello Mazzarella, Marie-France Pisier, Chiara Mastroianni, Arielle Dombasle. Sortie : mai 99. : Jacopo Quadri - interprètes : Antonella Costa, Carlos Echeverria, Dominique Sanda, Chiara Caselli, Enrique Tigre...

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