Ennemis intimes

de Werner Herzog
Sélection Officielle
Hors Compétition

Herzog / Kinski : je te hais, moi non plus

 

Herzog ou la colère de Kinski Werner Herzog n'est pas un idiot et pourtant... A treize ans, il habite le même immeuble qu'un acteur fauché, Klaus Kinski ; en 48 heures, l'irascible Klaus saccagera tout dans son appartement, sa fureur n'épargnant pas les sanitaires... Faut-il être inconscient pour proposer, quelques années plus tard, à cet acteur devenu star, un voyage au coeur de l'Amérique du sud. Sans qu'ils le sachent, Aguirre ou la colère de Dieu restera leur chef- d'oeuvre. Au vu de ce documentaire sur leur relation amour-haine, nous entrons dans l'intimité de deux surdoués sûrs de leur art et tout à fait complémentaires. A la mégalomanie colérique de l'un s'oppose le calme serein et décidé de l'autre. Il faut une véritable fascination du metteur en scène pour accepter le caractère impulsif, agressif, incontrôlable, halluciné, courageux mais heureusement lâche aussi d'un acteur toujours en situation de rupture.

Vers la fin du tournage d'Aguirre, Kinski menace de partir sur son énième coup de tête et commence à faire ses valises ; Herzog, d'une voix assurée, lui promet qu'il ne franchira pas le bras de la rivière, qu'il lui tirera huit balles dans la tête gardant la dernière pour lui-même. Nous supposons que Werner a été très persuasif puisque Klaus devint très discipliné et un merveilleux compagnon. Cet épisode illustre parfaitement l'ambiguïté de leur relation basée sur une tension permanente et une certaine forme de respect, voire d'amitié. Car ces deux "fous" se comprennent intuitivement. Grand professionnel de la lumière, Kinski avait une présence animale sur un plateau avec pour l'exemple la démonstration de "la vis Kinski", façon d'entrer de profil puis de face dans le champ.

Les actrices, dont Claudia Cardinale, viennent témoigner de la gentillesse de Klaus, de ses attentions. Alors Kinski, masquerait-il dans ses crises restées célèbres, une timidité maladive, lui le phobique invétéré ? A sa manière, Kinski a brûlé sa vie ; lui qui a joué Jésus sur les scènes du monde entier, avait l'esprit d'un ours. Après le tournage de Nosferatu, très éprouvant, il enchaîne avec le cinquième et dernier film de Werner, Cobra Verde. Il avouera à son metteur en scène fétiche, " On ne peut plus continuer, je ne suis plus ", terrible et émouvante confession. Il est dur de jouer sa vie plutôt que de la vivre tranquillement. La norme n'était pas son rêve... L'homme au papillon avait une âme qui désirait s'envoler. Reste un Werner seul, nostalgique, conscient d'avoir perdu son double, l'interprète de ses fantasmes créatifs, son meilleur ennemi pour toujours.

Pascal Gaymard

1h38 - My Best Fiend (Europe: English title) - Titre original : Mein liebster Feind - Klaus Kinski - scénario & dialogues : Werner Herzog - images : Peter Zeitlinger - musique : Popol Vuh - montage : Joe Bini. Sortie : août 99.

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