Les Moissonneurs
Die Stropers
de Etienne Kallos
Sélection officielle
Un Certain Regard






Le monde perdu des Afrikaners

Afrique du Sud, Free State, bastion d’une communauté blanche isolée, les Afrikaners. Dans ce monde rural et conservateur où la force et la masculinité sont les maîtres-mots, Janno est un garçon à part, frêle et réservé. Un jour, sa mère, fervente chrétienne, ramène chez eux Pieter, un orphelin des rues qu'elle a décidé de sauver, et demande à Janno de l'accepter comme un frère. Les deux garçons engagent une lutte pour le pouvoir, l'héritage et l'amour parental…
Ce premier long métrage d’Etienne Kallos fut l’une des découvertes cannoises, justifiant le nom donné à la section dans laquelle il fut présenté, Un Certain Regard. En effet, après un court métrage de fiction projeté dans le cadre de la Cinéfondation à Cannes en 2006, ce réalisateur sud-africain d’origine grecque propose une vision différente et jusqu’ici peu montrée de son pays. Il a choisi de situer son film dans une région fascinante, le Free State, « la Bible Belt » de l’Afrique du Sud et le cœur de la culture afrikaner. Le résultat est étonnant à plus d’un titre : âpre, introspectif et intimiste bien plus que réaliste, étouffant.
Kallos décrit avec beaucoup de précision cette communauté de fermiers blancs, très croyants et conservateurs, qui vivent en autarcie, coupés du monde, travaillant du lever du jour au coucher du soleil, et persuadés d’être menacés dans leur existence même. La religion, thème central, est omniprésente : les prières sont récurrentes dans le film, au sein de la famille à laquelle s’attache le jeune cinéaste. Une famille dont le quotidien va être bouleversé par l’arrivée d’un élément extérieur, un adolescent junkie en manque et qui ne manifeste aucune réelle volonté d’intégration.

Mais c’est surtout dans le rapport complexe entre le fils de la famille, Janno, et ce « frère » d’adoption, Pieter, que réside l’intérêt de l’œuvre. Entre ces deux jeunes hommes qui se cherchent une identité (avec en toile de fond la thématique du désir homosexuel de Janno) et un avenir dans un pays qui se métamorphose, s’immiscent la jalousie, la haine, le rejet, des secrets dévoilés et les tensions entre le groupe et les individus. Janno, qui fait tout pour être un bon fils (il est sage, obéissant et très attaché aux terres qui un jour seront les siennes), est persuadé que Pieter (qui retient l’attention des parents) est là pour le remplacer dans la structure familiale (le film adopte son point de vue, et reste ambigu à ce sujet). Le réalisateur précise : « J’ai écrit les personnages comme deux parties de la même âme, divisée entre deux parties en guerre, l’amour et la haine mêlés, enfermés dans une quête de domination éternelle et insatiable. » Ce que met en scène Kallos est le passage à l’âge adulte de ces deux demi-frères en terrain hostile, sans pour autant juger ses personnages. Il le fait avec talent : une mise en scène maîtrisée s’appuyant sur de grands espaces, une très belle photographie (signée Michal Englert, chef opérateur polonais) et une excellente musique de Evgueni Galperine qui renforce le côté menacant et anxiogène de l’ensemble. Non dénuée de défauts inhérents à tout premier film, bercé par des influences cinématographiques, cette plongée dans une culture inconnue et ce voyage intérieur méritent le détour et donne envie de découvrir la suite de la carrière d’Etienne Kallos.

Xavier Affre



 

 


1h44 - Afrique du Sud - Scénario : Etienne KALLOS - Interprétation : Brent VERMEULEN, Alex van DYK, Juliana VENTER.

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