Hyènes
Hyenas
de Djibril Diop Mambéty
Sélection officielle
Cannes Classics







« C’est le règne des hyènes qui commence. »

À Colobane, on annonce le retour de Linguère Ramatou, une enfant du pays qu’on dit plus riche que la Banque mondiale. Mais sa générosité aura un prix : un chèque de cent milliards contre la mort de Draman Drameh, qui avait refusé trente ans auparavant de reconnaître leur enfant… Djibril Diop Mambéty (1945-1998) n’a pas eu la notoriété de son compatriote sénégalais Ousmane Sembène (La Noire de…), et pourtant son œuvre est à redécouvrir. Il n’a certes réalisé que deux longs métrages en trois décennies d'activité cinématographique, mais ils s’avèrent être deux petits bijoux, en plus des cinq courts tournés entre 1969 et 1998. Hyènes est sorti en salles vingt-cinq ans après Touki-Bouki (1973), récit de la brève rencontre amoureuse entre un berger et une étudiante. Présenté au Festival de Cannes 1992, Hyènes y fut accueilli avec respect mais tomba vite dans l’oubli, contrairement aux films du Burkinabè Idrissa Ouedraogo (Tilaï) et du Malien Souleymane Cissé (Waati) qui en ce début des années 90 semblaient représenter à eux seuls le cinéma africain et attirer l’attention des cinéphiles et professionnels. Après une sortie DVD en 2008, la restauration du film entreprise dix ans plus tard donne une nouvelle chance à cette œuvre distribuée en salles par JHR Films. Hyènes est adapté de la célèbre pièce de théâtre La Visite de la vieille dame, du dramaturge suisse Friedrich Dürrenmatt, ici transposée à Colobane, ville natale du cinéaste. Il a mêlé le matériau du texte d’origine « à des souvenirs personnels liés à la vision d’une prostituée hautaine qui l’obséda durablement pour qu’il envisage, dans un premier temps, de lui consacrer une biographie romancée » (Raphaël Bassan). Mambéty réussit ainsi le pari de greffer un matériau littéraire externe à des préoccupations qui lui sont spécifiques, et de rendre crédibles des situations qui auraient a priori pu paraître déplacées dans une fiction située au Sénégal.

La pièce de Dürrenmatt était déjà un brûlot féministe en son temps, et une dénonciation sans concessions des lâchetés collectives et des compromissions auxquelles pouvait se livrer un pouvoir politique, même si ce n’est qu’un petit territoire qui est concerné. En relatant la vengeance d’une vieille africaine désormais enrichie mais spoliée de ses droits élémentaires en raison d’une injustice dont elle fut victime dans sa jeunesse, le réalisateur aborde des thèmes sensibles qui s’appliquent à l’Afrique depuis les années 60, à savoir la résurgence d’un néocolonialisme par le biais de la domination économique, ou le dilemme entre la volonté d’imiter les normes occidentales (savoureuse scène d’une vente de réfrigérateur) et le désir de rester fidèle aux valeurs ancestrales. Mais à l’instar de la pièce, le film n’est jamais démonstratif et se présente sous la forme d’une sarcastique comédie de mœurs, quelque part entre la verve des productions Marcel Pagnol et la tradition orale des griots, avec des dialogues d’anthologie : « le monde a fait de moi une putain. Je veux faire du monde un bordel », assène sèchement la vieille dame (indigne ?) à la communauté patriarcale qui l’a jadis humiliée. On admirera par ailleurs la maîtrise des cadrages dans le désert, Mambéty témoignant d’un sens de la gestion de l’espace et de l’étirement de l’action qui n’est pas sans évoquer l’art d’un Sergio Leone. Il faut enfin saluer la qualité de la direction d’acteurs. Mansour Diouf incarne avec justesse ce flamboyant commerçant qui jusqu’au bout restera digne, en dépit de la trahison de ses anciens amis. Quant à Ami Diakate, actrice non professionnelle découverte sur un marché de Dakar, elle crève littéralement l’écran dans un rôle qui fut aussi joué par Ingrid Bergman, Maria Schell, Mary Marquet ou Line Renaud.

Précédé de : Lamb (La Lutte sénégalaise) de Paulin Soumanou Vieyra (1963, 18 min, Sénégal).

Gérard Crespo


 

 


1992 - 1h50 - Sénégal, France, Suisse - Scénario : Djibril DIOP MAMBÉTY, d'après la pièce de Friedrich Dürrenmatt "La Visite de la vieille dame" - Interprétation : Ami DIAKHATE, Mansour DIOUF, Djibril DIOP MAMBÉTY, Makhouredia GUEYE.

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