Fahrenheit 451
de Ramin Bahrani
Sélection officielle
Hors compétition
Séance de minuit






« Qui sait qui pourrait être la cible de l’homme cultivé ? »

Dans un monde futuriste, la lecture est interdite et les livres brûlés par des pompiers. Le capitaine Beatty (Michael Shannon) est l’un d’entre eux, zélé et persuadé du bienfait de sa mission. Il a sous ses ordres Guy Montag (Michael B. Jordan), qui ne se pose aucune question jusqu’au jour où il tombe sur un ouvrage et décide inexplicablement de le garder. Guy devient dès lors un hors-la-loi… Publié en 1953, le roman de science-fiction de Ray Bradbury avait été écrit dans un contexte de guerre froide et de chasse aux sorcières liée au maccarthysme. Une première adaptation avait été signée par François Truffaut avec une production anglaise de 1966, interprétée par Julie Christie, Oskar Werner et Cyril Cusack. En dépit de qualités visuelles et d’un beau lyrisme, ce n’était pas le meilleur film de l’auteur de Jules et Jim, mais il dégageait une charge émotionnelle compte tenu de l’amour de Truffaut pour la littérature. Cinéaste américain d’origine iranienne, Ramin Bahrani s’est prêté au jeu d’une seconde adaptation et n’a pas à rougir de la comparaison. Si les autodafés ont caractérisé les dictatures, du régime nazi à celui du général Pinochet, la destruction systématique de tous les livres est bien ce qui fait la spécificité de la trame narrative de Bradbury, reprise ici par Bahrani. Dans les années 50 et 60, la démocratisation de la télévision et l’avènement de la société de consommation de masse avaient joué un sale tour au monde de l’édition et à la lecture en tant que pratique culturelle : la catastrophe montrée par Bradbury pouvait donc être vue comme une métaphore du déclin d’un monde ancien basé sur l’écrit et la réflexion, au détriment d’une valorisation du choc des images et de l’abrutissement des masses.

Plus d’un demi-siècle plus tard, l’avertissement de Bradbury mettant en garde contre cette évolution et appelant à une résistance citoyenne est plus que d’actualité. Certes, on ne brûle toujours pas les livres dans nos démocraties avancées mais le nivellement par le bas des projets culturels, l’appauvrissement des courants de pensée ou l’émergence d’une société qui valorise ses techniciens davantage que ses artistes trouvent d’étranges échos avec Fahrenheit 451. Le grand mérite de Bahrani est d’en avoir actualisé l’histoire : il faut attendre une trentaine de minutes avant que le film ne dévoile des livres en support papier. Supplantés par le digital, ils ont été confinés aux marges de la vie sociale et la plupart d’entre eux ont dû être numérisés. En même temps, cette évolution de format a rendu moins aisée la tâche des pompiers pyromanes qui désormais doivent détruire des ordinateurs ou des disques durs. Le film est donc fidèle à l’univers de Bradbury tout en élargissant sa problématique à une réflexion sur les évolutions technologiques, sans tomber non plus dans un passéisme stérile ou réactionnaire. Cette dystopie élégante et sobre n’atteint certes pas les qualités de modèles du genre, comme Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol, et l’on sourira face à quelques fautes de goût (Harry Potter au bûcher entre des ouvrages de Kafka et Proust…). Mais on aurait tort de bouder son plaisir, d’autant plus que Michael Shannon compose avec jubilation un salaud aussi terrifiant que celui qu’il avait incarné dans La Forme de l’eau de Guillermo del Toro. On regrettera toutefois l’absence de sortie en salle d’un film uniquement diffusé sur une plateforme de streaming.

Gérard Crespo



 

 


1h40 - États-Unis - Scénario : Ramin BAHRANI, Amir NADERI, d'après le roman de Ray Bradbury - Interprétation : Michael B. JORDAN, Michael SHANNON, Sofia BOUTELLA, Lilly SINGH, Laura HARRIER, Martin DONOVAN.

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