Border
Gräns
de Ali Abbasi
Sélection officielle
Un Certain Regard
Prix Un Certain Regard







Le son des vers écrasés à la cuiller

Tina, douanière à l’efficacité redoutable, est connue pour son odorat extraordinaire. C'est presque comme si elle pouvait flairer la culpabilité d’un individu. Mais quand Vore, un homme d'apparence suspecte, passe devant elle, ses capacités sont mises à l'épreuve pour la première fois. Tina sait que Vore cache quelque chose, mais n’arrive pas à identifier quoi. Pire encore, elle ressent une étrange attirance pour lui. Alors qu’elle développe un lien spécial avec Vore, la jeune femme découvre enfin sa véritable identité... Il s'agit du second long métrage d'Ali Abbasi, un cinéaste iranien qui a émigré en Suède puis au Danemark. Adapté d'une nouvelle de John Ajvide Lindqvist, qui a aussi participé au scénario, le film part d'une trame psychologique et policière pour dévier vers le polar fantastique. C'est d'abord le portrait troublant d'une jeune femme d'aspect néendertalien, qui ne s'affirme que dans le cadre professionnel. Elle n'a pas son pareil pour interpeller les passagers d'aéroport qui cachent des produits illicites, et un sixième sens lui permet de déceler les failles de tous les individus ayant quelque chose à se reprocher. On s'attache très vite à ce Quasimodo au féminin, et le récit insiste sur le caractère frustrant de sa vie privée, de ses relations maladroites avec son père infirme à sa cohabitation avec un crétin qui squatte son appartement et ne manifeste aucune considération pour elle. Quand Tina passe son temps libre à communier avec la nature, à l'instar de L'Enfant sauvage de François Truffaut, le film prend une tournure étrange et fascinante, qui culminera avec la rencontre de Vore, son alter ego.

Dans un entretien avec Fabien Bauman, le réalisateur a déclaré : « Ma famille et moi, c'est Pasolini ou Buñuel, un cinéma à la fois charnel et spirituel. J'aime cette couche de surréalisme davantage que de spititualité ». Et Border est tout sauf un film plaisant, consensuel et confortable. Dans l'esprit de Freaks de Tod Browning ou Elephant Man de David Lynch, le film est subtil lorsqu'il met en exergue l'humanité cachée de créatures stigmatisées par leur apparence physique, et l'on peut y voir aussi une parabole des discriminations dont sont victimes les minorités, des réfugiés aux personnes transgenres. Mais loin de livrer un conte des bons sentiments, le réalisateur opte pour une ambiance de mystère et de double lecture qui rejoint l'esprit de grands films cultes, à l'instar de L'Homme qui venait d'ailleurs de Nicolas Roeg ou Import/Export de Ulrich Seidl. Précisons toutefois pour les âmes cinéphiles mais sensibles des séquences avec bébés qui n'ont jamais été aussi terrifiantes et dérangeantes depuis Le Monstre est vivant de Larry Cohen ou Trainspotting de Danny Boyle. En dépit de ces références, Border, par ailleurs magnifié par l'interprétation habitée de l'actrice Eva Melander, reste un bel objet filmique non identifié hautement recommandable.

Gérard Crespo



 

 


1h41 - Suède - Scénario : Ali Abbasi, Isabella Eklöf, d'après la nouvelle de John Ajvide Lindqvist - Interprétation : Eva MELANDER, Eoro MILONOFF, Sten LJUNGREN. Jörgen THORSSON.

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