J'ai même rencontré des Tziganes heureux
Skupljaci Perja
de Aleksandar Petrovic
Sélection officielle
Cannes Classics







« Oh mon Dieu, si tu m’incarnes encore une fois après ma mort
Laisse-moi être Tzigane… »

De nombreux Tziganes vivent dans la vaste plaine de la Voïvodine, en Serbie, où ils exercent de petits métiers. Vivant de son commerce de plumes d'oie, Bora, jeune et insouciant, se veut libre mais il est marié à une femme plus âgée. Il rencontre Tissa, une jeune sauvageonne, et s'éprend d'elle. Mais Mirta, beau-père de Tissa, déjà son rival en affaires, le devient aussi en amour. Aleksandar Petrovic (1929-1994) fut, avec Dušan Makavejev, le réalisateur le plus important du cinéma yougoslave des années 60 et 70, avant d’être éclipsé par Emir Kusturica. On trouvera d’ailleurs une évidente similitude entre J’ai même rencontré des Tziganes heureux et Le Temps des gitans, que Kusturica réalisera vingt-deux ans plus tard : l’admiration pour un groupe social soudé et stigmatisé, avec en leitmotiv le rôle de catharsis joué par la musique. Petrovic avait été révélé avec Elle et lui (1961) et Les Jours (1963), qui par leur intimisme rompaient avec le réalisme socialiste alors en vigueur dans la cinématographie yougoslave. J’ai même rencontré des Tziganes heureux, auréolé d’un Prix spécial du Jury à Cannes en 1967 (et nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère), est considéré comme son œuvre la plus célèbre. Pourtant le film, distribué par Claude Lelouch à sa sortie, est resté depuis invisible. On ne peut donc que se réjouir de son retour à l’écran dans une copie restaurée splendide. Sans pouvoir être qualifié de baroque, J’ai même rencontré des Tziganes heureux se présente comme un foisonnement de couleurs et de sons musicaux, autour d’un scénario plutôt minimaliste qui insiste sur le mélange de frustration, de fierté et d’espoir inhérent à tout un peuple.

Pour la première fois au cinéma, un récit était axé autour de la culture tzigane, et joué par des acteurs appartenant presque tous à cette communauté. Une autre originalité du film est de combiner de nombreux éléments dramatiques (la mort subite d’un nourrisson, une tentative de viol dans un camion) avec quelques passages semi-burlesques qui détonent dans cet univers de noirceur : un pope porté sur la bouteille ou un mariage arrangé entre la belle Tissa et un jeune voisin à peine pubère ne sont pas les moindres digressions insolites d’une œuvre qui concilie également ancrage social et poésie, dans la lignée du meilleur cinéma. Ainsi la lutte dans le tas de plumes pourrait faire écho à la bataille de polochon de Zéro de conduite, quand les déboires de la jeune fille répondent aux tourments de Gelsomina dans La Strada. « Ce film n’est pas romantique – il est rude et beau, telle la vie des Tziganes. Les chansons que vous entendrez dans ce film, vous les entendrez pour la première fois, car ce sont des chansons des Tziganes de Voïvodine, peu connues. Dans leur vie la réalité est liée à la fantaisie – ce sont des hommes libres », avait déclaré le cinéaste. Cette sensation de liberté est aussi celle de son art, qui refuse les sentiers balisés de la narration académique. En ce sens, le film s’inscrit dans le courant des nouvelles vagues qui ont bousculé la grammaire cinématographique dans les années 60. On retiendra enfin de cette perle rare le charisme de deux interprètes : Bekim Fehmiu incarne avec truculence un personnage quasi dostoïevskien. Quant à la belle actrice et chanteuse Olivera Vučo, elle déploie une autorité qui fait regretter qu’elle n’ait pas connu une carrière plus importante.

Gérard Crespo



 

 


1967 - 1h22 - Yougoslavie (Serbie) - Scénario : Aleksandar PETROVIC - Interprétation : Bekim FEHMIU, Olivera (VUCO) KATARINA, Velimir 'Bata' ZIVOJINOVIC, Giordana JOVANOVIC, Mija ALEKSIC.

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