Carré 35
de Eric Caravaca
Sélection officielle
Hors compétition

Séance spéciale








Un secret

Eric Caravaca revient sur son enfance pour mener une investigation sur un secret resté tabou : « Carré 35 est un lieu qui n’a jamais été nommé dans ma famille ; c’est l’emplacement de la concession où se trouve le caveau de ma sœur aînée, morte à l’âge de trois ans. Cette sœur dont on ne m’a rien dit ou presque, et dont mes parents n’avaient curieusement gardé aucune photographie. C’est pour combler cette absence d’image que j’ai entrepris ce film. Croyant simplement dérouler le fil d’une vie oubliée, j’ai ouvert une porte dérobée sur un vécu que j’ignorais, sur cette mémoire inconsciente qui est en chacun de nous et qui fait ce que nous sommes ». Disons-le d’emblée : le documentaire d’Eric Caravaca est bouleversant, l’un des plus beaux réalisés sur les secrets de famille et les blessures enfouies. On connaissait surtout l’acteur, interprète sensible de François Dupeyron (à qui le film est dédié), Patrice Chéreau (Son frère) ou Philippe Garrel (L’Amant d'un jour). Caravaca avait signé en 2004 un premier long métrage de fiction, Le Passager, qui évoquait déjà le thème de souvenirs familiaux douloureux. Si le sujet de Carré 35 peut a priori mettre mal à l’aise, tant on penserait ouvrir un journal intime par effraction, la vision des premières séquences non seulement nous rassure, mais dégage ce mélange de simplicité et de finesse, d’émotion et réflexion, qui n’est pas sans évoquer la démarche de Sandrine Bonnaire filmant sa sœur dans Elle s’appelle Sabine. Mais le documentaire d’Eric Caravaca va encore plus loin dans l’originalité de la démarche. Certes, on y trouve des interviews de proches (sa mère, son père malade, son frère, son cousin…), des images de vieux films et des photos de famille, ainsi que des archives d’époque, en particulier sur les troubles ayant précédé l’indépendance du Maroc.


Si ces éléments ont nourri bien des reportages et documentaires, le cinéaste ajoute au dispositif une véritable enquête, tentant de percer la mort de cette sœur. Pourquoi ses parents ne lui ont-ils parlé que tardivement, et encore sous un mode allusif, de l’existence de Christine ? Pourquoi à la mort de la petite fille ont-ils dû prendre l’avion pour se rendre à Casablanca, alors qu’elle était censée vivre avec eux ? Pourquoi ne reste-t-il aucune photo de la défunte, y compris sur la tombe du cimetière français de Casablanca ? Christine était-elle seulement une enfant avec une malformation cardiaque, comme s’obstine à le préciser la mère devant la caméra face aux interrogations de son fils ? Et puis il y a l’évocation de ces figures en apparence secondaires au sujet, deux autres membres de la parentèle qui décèdent à quelques années d’intervalle, sans que cela soit annoncé à des enfants… D’Alger à Casablanca, de 1962 à nos jours, le puzzle tente de se reconstituer sous nos yeux, avec en parallèle l’analogie entre le drame individuel et la tragédie collective. Car le deuil des parents coïncide avec la fin de l’époque coloniale et la répression des rebelles indépendantistes. Installés en France dès le milieu des années 60, les Caravaca semblent vouloir mettre une croix sur leur passé, de même qu’au Maroc ils avaient cherché à effacer les traces de leurs origines espagnoles. Ce film aux fortes connotations psychanalytiques est pour l’auteur et sa mère une évidente catharsis, dont le spectateur est le témoin. Sans voyeurisme ni détachement, le cinéaste nous fait partager les fruits de ses recherches, jusqu’à la résolution de l’énigme dans un des dénouements les plus déchirants du cinéma.

Gérard Crespo


 

 


1h07 - France - Documentaire - Scénario : Eric CARAVACA, Arnaud CATHRINE - Production : Les FILMS DU POISSON - Distribution : PYRAMIDE DISTRUBUTION.

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