Belinda |
« Tu ne viendras pas ce soir » Marie Dumora avait signé une trilogie documentaire dans laquelle elle filmait déjà une famille yéniche (branche de la communauté tzigane) dans l’Est de la France : Avec ou sans toi (2002), Emmenez-moi (2004) et Je voudrais aimer personne (2010). Belinda en est le prolongement. En 2000, à l’occasion d’un tournage, la réalisatrice avait rencontré Belinda, une fillette solaire et joyeuse qui vivait avec sa sœur Sabrina dans un foyer d’enfants abandonnés, et avait souhaité en faire le point de départ d’une série documentaire. Si le dernier volet était axé sur Sabrina, le présent film se focalise sur Belinda à trois étapes de sa vie : à neuf ans, elle se voit séparée de sa grande sœur qui rejoindra une famille d’accueil ; à quinze ans, elle reprend contact avec sa mère naturelle, qui vit dans un HLM entourée d’une flopée de bambins dont elle est la nounou. Belinda cherche sa voie professionnelle, et confie au tuteur du foyer d’enfance qu’elle préférerait la mécanique à la vente de chaussures ; à vingt-trois ans, Belinda vit avec son père et souhaite épouser Thierry, son amoureux trentenaire aux yeux bleus et à l’accent des Vosges. Mais le futur marié purge une peine en prison… Les trois segments n’ont pas la même durée : le premier semble un prologue, le second dure une quinzaine de minutes, le reste du film étant centré sur la jeune adulte. Voilà un documentaire exaltant et émouvant, qui transcende la tonalité naturaliste du contenu pour proposer un beau témoignage d’espérance et d’humanité, tout en renouvelant le genre. On s’attache très vite à Belinda, mi-Cosette, mi-Paulette Goddard dans Les Temps modernes, et à son côté space compensé par une réelle sincérité, même si la jeune femme n’est pas, loin s’en faut, un modèle d’intégrité. |
En effet, une ellipse inattendue amènera plusieurs scènes sans Belinda : on apprend alors qu'elle séjourne elle-même quatre mois en taule pour avoir racketté des passants avec un uniforme de policière, et ce afin de financer ses frais de mariage… Mais Belinda fait tout pour être solidaire de ses parents défaillants et fragiles, qui ont jadis été dans l’impossibilité de l’élever, et de sa famille proche et éloignée. La pratique religieuse donne un sens à son existence, et l’amour qu’elle éprouve pour un délinquant récidiviste illettré témoigne de sa combativité. Le film n’a pas la patte lourde sur les thèmes sous-jacents : « Je ne voulais pas […] réduire son histoire à son ancrage sociologique, à un cas », a déclaré la réalisatrice. Elle aborde pourtant frontalement, au même titre que Spartacus & Cassandra de Ioanis Nuguet, certains sujets de société, comme la précarité d’emploi, le cercle vicieux de l’exclusion, le déterminisme social ou la stigmatisation dont sont victimes des communautés. Mais l’essentiel est ailleurs : dans ces dialogues maladroits entre Belinda et Thierry, dans le souvenir d’une tragédie familiale et historique à travers la photo des grands-parents, ou dans ce plan d’un bain solitaire, illustré par la chanson d’Adamo Tu ne viendras pas ce soir… Quant à l’idée de filmer Belinda et Sabrina sur plusieurs années, elle n’est pas sans évoquer la démarche de l’excellent documentaire télévisé Que deviendront-ils ? de Michel Fresnel, des films de Lola Pinell et Chloé Mathieu (Kiss & Cry), mais aussi et surtout de belles fictions de cinéma : la série des Antoine Doinel de François Truffaut, ou Boyhood de Richard Linklater.
|
1h47 - France - Documentaire - Production : GLORIA FILMS - Distributeur : NEW STORY. |