Toni Erdmann
de Maren Ade
Sélection officielle
En compétition

Prix de la FIPRESCI








Père et fille

Quand Ines, femme d’affaire d’une grande société allemande basée à Bucarest, voit son père débarquer sans prévenir, elle ne cache pas son exaspération. Sa vie parfaitement organisée ne souffre pas le moindre désordre mais lorsque son père lui pose la question « es-tu heureuse ? », son incapacité à répondre est le début d’un bouleversement profond. Ce père encombrant et dont elle a honte fait tout pour l’aider à retrouver un sens à sa vie en s’inventant un personnage : le facétieux Toni Erdmann…

Maren Ade avait été remarquée par The Forest for the Trees (2005) et Everyone Else (2009), respectivement primés aux Festivals de Sundance et Berlin. Toni Erdmann, ovationné à Cannes, devrait élargir son audience. Ce récit de la reconquête d’un amour filial est un petit bijou d’émotion contenue et de burlesque décalé, comme si le Wim Wenders de Paris, Texas tendait la main au Blake Edwards de The Party. Le film prend son temps avant de dévoiler ses véritables intentions, et une longue exposition décrit le quotidien d’un retraité facétieux, dont l’humour pince-sans-rire contraste avec le ton très policé des membres de sa famille, dont son ex-épouse et sa fille. On peut d’abord voir le récit comme la radioscopie d’un conflit de générations. Winfried est issu d’une jeunesse contestataire et libertaire, celle-là même qui avait voulu solder les comptes avec le passé sombre de l’Allemagne, encore que ce dernier aspect ne soit pas explicite dans le film. Artiste et idéaliste, il a échoué à inculquer ses valeurs à sa fille : Ines est devenue un petit soldat de l’économie de marché, cadre supérieure dans un cabinet d’audit international, prodiguant des conseils en externalisation dans une Roumanie en plein essor commercial. Partagée entre la honte éprouvée par l’intrusion de ce père fantasque et le souci des convenances, elle trouve d’abord un compromis en acceptant sa présence tout en lui demandant d’être discret devant ses collaborateurs et clients.

Bienveillante à son égard, elle ne le retient pourtant pas lorsqu’il décide d’abréger son séjour. C’est là que Toni Erdmann dépasse son cadre de satire sociale pour devenir un beau portrait de rapport père/fille, thème que le cinéma a parfois abordé à travers des réussites comme La Fille prodigue de Jacques Doillon ou Un Dimanche à la campagne de Bertrand Tavernier. Refusant le psychodrame comme le sentimentalisme, Maren Ade trouve la tonalité juste, alternant dialogues en demi-teinte, silences suggestifs et digressions saugrenues, sans tomber dans l’auteurisme nombriliste ou le pittoresque démagogique. Le film culmine dans des scènes comiques d’une rare intensité, dans lesquelles des quiproquos dévastateurs secouent les personnages tout autant que le spectateur, notamment dans une séquence d’anniversaire déjà culte. « Je n’aime pas rogner sur la forme narrative. J’ai besoin que chaque décision prise par les protagonistes […] paraisse crédible […] Même si le réalisme primait sur le reste, je voulais quand même qu’il y ait des moments magiques qui sont la définition même du cinéma », a déclaré la réalisatrice. Ce dosage entre naturalisme documentaire et échappées insolites est une autre qualité d’un film dont la longueur permet de se familiariser avec des personnages au final plus contrastés que ne le laissait imaginer le matériau initial. Il faut enfin souligner la qualité de l’interprétation. Le prodigieux Peter Simonischek crève l’écran, en digne héritier de Peter Sellers. Sandra Hüller (Requiem) est en totale osmose avec son personnage. Ils sont entourés de seconds rôles aussi talentueux que Lucy Russell et Hadewych Minis. Tony Erdmann est donc une œuvre majeure du nouveau cinéma allemand et la confirmation d’une cinéaste de premier plan.

Gérard Crespo


2h42 - Allemagne, Autriche, Roumanie - Scénario : Maren ADE - Interprétation : Peter SIMONISCHEK, Sandra HÜLLER, Lucy RUSSELL, Hadewych MINIS, Vlad IVANOV.

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