Tombé du ciel |
Samir est-il mort ? Après 20 ans de séparation, Samir, ancien milicien présumé mort, réapparaît dans la vie d’Omar, son petit frère devenu garde du corps à Beyrouth. Entre drame et comédie, Samir doit se confronter à un pays qui ne lui appartient plus… Samir est-il mort ? En tout cas, s’il est vivant, il a traversé un enfer qui ne l’a pas complètement ramené à la vie, bien qu’il boive, danse et regarde les jolies filles. D’où sort ce moribond, que des Noirs hissent sur la plateforme d’un pick-up ? Rapidement, on le saura : c’est un survivant de la terrible guerre civile au Liban, dont les stigmates ne seront jamais évoqués de manière emphatique, plutôt transfigurés, souvent par le truchement de scènes loufoques. Si le film reconfigure d’une certaine manière le duo de l’auguste et du clown blanc, il dépasse ce simple attelage, par une constante inventivité burlesque. Wissam Charaf connaît ses classiques : les gags millimétrés doivent beaucoup à Keaton et Tati. On pense en particulier aux postures synchrones des gardes du corps, s’exerçant à bricoler leur arme, ou à l’impeccable géométrie avec laquelle le corps de Samir tombe sur le canapé. Finalement, c’est sans doute lui qui se porte le mieux et les autres lui font payer le prix d’être aussi vivant, en particulier son frère Omar. Ce dernier ne l’accueille pas avec la plus accorte des manières, puisqu’il l’agresse d’abord physiquement, avant de la ramener chez lui, contraint par la violence qu’il lui a infligée et l’a laissé par terre. Samir illustre le destin de tous ceux qui ont traversé l’enfer et tendent à la société le terrible miroir dans lequel elle refuse de se regarder. |
De cet argument, Charaf a le bon goût de ne pas tirer une œuvre pathétique, d’autres l’ont déjà fait avant lui, parfois avec talent. Il n’empêche que la charge symbolique demeure présente, sans lourdeur particulière, puisque le film va jusqu’au bout d’une logique qui consiste à décomposer les symptômes d’une pathologie généralisée en situations paroxystiques : si l’impatience d’Omar se décline en envie de tuer son voisin, le cinéaste le prendra au mot et pas qu’un peu. On ne dévoilera pas la manière dont le fâcheux sera littéralement « liquidé », mais on remarquera que la placidité avec laquelle la vengeance s’accomplit se réfère à une certaine désinvolture tarantinienne. Le film ménage tout de même des effets de rupture, qui l’orientent vers de plus sombres chemins : traumatisé par une agression, tandis qu’il tentait de protéger une politicienne, Omar vit une situation similaire à ceux que la guerre a sacrifiés. Son impressionnant mutisme leste une bonne moitié du film, obligeant son frère à des contorsions diverses, pour dissiper le malaise, mais surtout à assumer une solitude qui, de toute façon, aura été son inséparable compagne. Servi par des comédiens convaincants, ce joli premier film parvient à se frayer un chemin original entre drame et comédie. Jérémy Gallet
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1h10 - France, Liban - Scénario : Wissam CHARAF, Mariette DÉSERT - Interprétation : Rodrigue SLEIMAN, Raed YASSIN, Saïd SERHAN, Georges MELKI, Yumna MARWAN. |