Garde à vue
Nous étions plus d’un à espérer qu’une Palme d’or, ou à défaut un Grand prix, soit attribuée à Ma’Rosa, le dernier opus du grand Brillante Mendoza. Mais c’est Jaclyn Jose, star incontestée en son pays, qui offre aux Philippines le prestigieux prix d’interprétation féminine pour le rôle-titre du film. Cette récompense, elle la partage bien sûr avec son réalisateur, mais aussi, comme un rêve devenu réalité, avec sa fille à la ville comme ici à l’écran, Andi Eigenmann, elle aussi star adulée du « mainstream movie » par opposition au cinéma indépendant, dans lequel Mendoza lui permet de faire ses premiers pas.
Fini donc le moindre soupçon de maquillage et le look « présentable ». Car le réalisateur, habitué de Cannes depuis 2007 avec John John révélé par la Quinzaine des réalisateurs, n’est pas et n’a jamais été le chantre d’un cinéma aimable. S’il se défend de faire de la politique, il admet pourtant que son pays a terriblement soif de changement et impose son univers à la Ken Loach, où le factuel et le réalisme ne peuvent que mettre en exergue, crûment et violemment, la peinture sociale et donc politique de son pays. Un pays où, malgré une croissance économique à faire pâlir les pays occidentaux, un tiers de la population survit avec moins d’un dollar par jour. Un pays gangrené par la corruption généralisée, décomplexée, institutionnalisée depuis la longue occupation espagnole en mode de vie ordinaire.
Quartier glauque, atmosphère étouffante, rues délavées par les pluies torrentielles : au Sari-Sari Store, Rosa, la « mama » du quartier, tient sa petite boutique, dont les revenus, insuffisants pour nourrir ses quatre enfants, sont arrondis par son job parallèle de dealer. À cinq dollars la dose de shabu planquée au fond d’un paquet de bonbon – crystal dont son mari Nestor est également consommateur – la survie devient possible. Ici, à croire que rien n’a changé depuis le tableau accablant proposé par le documentaire Les Trottoirs de Manille en 1982, les enfants continuent à sniffer de la colle pour tromper leur faim.
Dénoncés, Rosa et Nestor Reyes sont violemment appréhendés pour « détention illégale de produits stupéfiants interdits » et embarqués au commissariat, lors d’une scène frénétique tonitruante de bruit. Un lieu où corruption, tabassages, règlements de comptes, déni total des droits règnent en maître, dans un pays figurant en bonne place au hit-parade mondial de ceux pratiquant la torture. Ici, on chante au videoké, on mange, on boit sur le dos des interpellés. Les flics conservent les prises de drogue pour leur consommation personnelle et négocient la relaxe de leurs proies : pour Rosa et Nestor (Julio Diaz), il faudra, après avoir dû livrer le nom du fournisseur au prix de quelques « égratignures », cracher 200 000 pesos (environ 4 000 euros)… une fortune !
À la devise touristique bien connue du pays « It’s more fun in the Philippines », Rosa, à l’instar de bien d’autres « mamas », va en substituer une autre, historiquement ancrée dans les mentalités d’un peuple portant très haut les valeurs de l’entraide familiale envers et contre tout : « On va se débrouiller… »
Dans un climat de fièvre et de détresse, trois des enfants vont s’y employer : le fils aîné errant dans les rues pour essayer de vendre un téléviseur, le plus jeune se prostituant, la fille affrontant l’humiliation de l’acariâtre tante Tilde pour lui soutirer quelques billets.
Le talent de Mendoza est d’associer, en trois actes, la règle des trois unités du théâtre classique (lieu, temps, action) au filmage chaotique et énergique d’une caméra à l’épaule, toujours dans l’urgence, toujours dans l’instinct, mais laissant sa part à la tendresse, selon une esthétique qui est devenue la signature du cinéaste.C’est un tour de force que d’avoir osé et réussi cette immersion totale dans la foule grouillante de Manille, parti-pris du scénariste Troy Espiritu qui fait du lieu de tournage le personnage principal du film. Un autre parti-pris est celui de l’empathie pour les protagonistes, par opposition aux représentants de la police et bien que ceux-ci n’aient peut-être eux non plus d’autre moyen de survie que cette corruption endémique, au vu du salaire de misère qu’ils perçoivent. Ceci expliquant mais n’excusant pas cela.
Rody Duterte, nouvellement élu à la présidence des Philippines, a promis d’éradiquer tout autant la pauvreté que la corruption. Vaste combat contre la pieuvre que l’on souhaiterait voir s’accomplir sans recourir au rétablissement de la peine de mort…
Mais, fermons la parenthèse polémique. « Je filme ce que je vois » répète Brillante Mendoza, « Je m’inspire de faits réels dont je peux témoigner », « Je ne donne aucun script aux acteurs, je me contente de leur décrire la situation du moment »… et la recette, tout en fulgurances, fait merveille.
Marie-Jo Astic
Avec l'amicale contribution de Melvin Regis.
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Police custody
Many of us hoped that a Palme d’or, or at least a Grand Prix, would reward Ma’Rosa, the last opus by the great Brillante Mendoza. As it happened, the prestigious award for Best Actress befell to Jaclyn Jose, an indisputed movie star in her homeland, thanks to her title role in the film. She of course shared this award with her director but also, like a dream come true, with Andi Eigenmann, her daughter in real life as well as on the screen. An adulated star too, but from the mainstream movies, as opposed to the independant cinema, in which Mendoza offered her to take her first steps.
This puts an end to the slightest touch of make up or “presentable look”, as Andi says. As a matter of fact, Brillante Mendoza, a regular guest in Cannes since his 2007 film Foster Child revealed by the Directors’ Fortnight, has never been an advocate of an amiable cinema. Although he denies doing politics, he nevertheless observes that his homeland terribly hungers for change and he imposes a universe à la Ken Loach by highlighting realistic facts all the better to crudely and violently depict the social and thus political state of his country. A country where, despite an economic growth that would make the West green with envy, one third of the population survives on less than a dollar per day. A country gone gangrenous with a generalized and unihibited corruption, institutionalized as an ordinary way of life since the long Spanish colonisation times.
A shabby area, a stifling atmosphere, streets washed out by torrential rains: At the Sari Sari store, Rosa, the « mama » of the district, keeps her small shop, the incomes of which being unsufficient to feed her four children, are supplemented by her petty trading as a drug dealer. At the rate of $5 the dose of shabu, stashed at the bottom of a bag of candies – some crystal of which her husband Nestor is a consumer as well – survival becomes possible. You’d think that nothing has changed there since the devastating 1982 documentary The Pavements of Manila: Kids are still sniffing glue to stave off hunger. Reported to the police, Rosa and Nestor Reyes are violently arrested for “illegal possession of forbidden narcotic substances” and taken to the station in a blaring and frantic scene. This is a place where corruption, beatings up, gangland killings, total denial of civil rights reign supreme in a country which features prominently in the charts of worldwide torture. There you sing the videoke, you eat and drink on the backs of the people under arrest. The cops keep the confiscated drugs for their own needs and negotiate the discharges of their preys: After giving up the name of their supplier at the cost of some “scratches”, Rosa and Nestor will also have to spit out 200,000 pesos (about 4,000 Euro)… No less than a fortune !
To the well-known touristic motto of the country “It’s more fun in the Philippines”, Rosa, like many other « mamas », substitutes another one, historically anchored in the mentalities of a people placing great emphasis on the values of mutual family assistance against all odds : “We’ll cope…”
In a climate of fever and distress, three of the children will apply themselves to doing the job: The elder son roaming the streets to try and sell a TV set, the younger one prostituting himself, the daughter facing humiliation by trying to squeeze out some banknotes from atrabilious aunt Tilde.
Mendoza’s talent consists in combining the three-unit rule (place, time, action) in three acts of classical theatre with the chaotic and energetic effects of handheld camera filming, always in an emergency, always by instinct while making room for tenderness, according to personal aesthetics which have become Mendoza’s signature.
Having dared to create a total immersion in the swarming crowd of Manila and succeeding in doing so is a real “tour de force”. It was the scriptwriter Troy Espiritu’s will to use the place of the shooting as the main character in the movie. Empathy for the main characters as opposed to the representatives of the police is another deliberate choice as well, though the latter may not have other ways of survival than endemic corruption given the pittance they get as a salary. This can explain, though of course not excuse, their demeanour.
Rody Duterte, the newly-elected president of the Philippines, has promised to eradicate poverty and corruption as well. A colossal battle against the“giant octopu” that we’d wish to be fought without resorting to death penalty restoration…
But let’s close the polemical parenthesis. “I film what I see”, Mendoza repeats. “I draw my inspiration from real facts which I can bear witness of”. “I don’t give any script to the actors, I just describe the situation at some point to them”… and the dazzling formula works wonders.
Marie-Jo Astic
With the friendly contribution of Melvin Regis.
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