The Last Face
de Sean Penn
Sélection officielle
En compétition








Shame

Dans une Afrique décimée par la guerre, le directeur d’une organisation d’aide internationale et un médecin humanitaire vivent une intense passion amoureuse qui changera leurs vies à jamais. Jusqu’à ce que leurs points de vue divergents sur les solutions à apporter aux conflits les opposent...

Le nouveau Sean Penn était attendu comme l’un des points forts du Festival de Cannes. Il l’est effectivement, à son détriment, jamais au niveau de la dignité humaine où l’on attendait l’auteur d’Into the Wild. Le réalisateur met en scène ici un contexte de guerre, celui dévastateur d’un Libéria ou d’une Sierra Leone décharnés. Mais loin du pamphlet engagé, l’arrière-plan (sic) devient prétexte, un moyen comme un autre pour Sean Penn de mettre en scène un mélodrame. Une toile de fond rouge sang où les corps décharnés, les familles décimées et les populations exilées ne servent qu’à apitoyer le spectateur et à susciter chez lui un semblant d’émotion. Mais cette rhétorique confondante de sentimentalisme et de naïveté révèle un symptôme plus grave : celui du regard biaisé véhiculé le plus souvent dès lors qu’il est question de l’Afrique et de l’humanitaire. Comme si le cinéaste se faisait le porte-parole malgré lui d’une démagogie à l’état pur. La recette de Sean Penn est consternante, révoltante. Elle consiste en une mise en scène grossière et pompière (musiques grandiloquentes, plans et montage à la Michael Bay) et vise à dépeindre une Afrique fauchée par la guerre dans tout ce qu’il y a de plus caricatural et grotesque. Les populations terrorisées fuient des meurtriers invisibles, les familles déchirées pleurent dans la nuit...
Sean Penn ne se refuse à aucun moment le droit de filmer avec complaisance une horreur graphique dont l’unique but est d’agir comme le révélateur de l’héroïsme des bons Occidentaux - ajoutez là-dessus la musique de Hans Zimmer, et vous aurez la recette nauséabonde d’un cinéma hollywoodien condescendant et impérialiste vis-à-vis du monde extérieur. L’auteur ne fait montre d’aucune vision politique ou sociale, se contentant de placer par nécessité des acteurs glamours - Charlize Theron, Javier Bardem, Adèle Exarchopoulos -, dans un environnement à même de mettre au jour leur courage et leur engagement factices. Ces protagonistes sont tous dégoulinants et par conséquent accablants, mention spéciale pour le Dr. Love (Jean Reno) et ses grandes idées sur l’amour (évidemment).

Outre le fait que The Last Face ait été sélectionné en compétition à Cannes - ce qui en soit est déjà honteux et intolérable -, le film montre l’ignorance immorale d’un Occident suprématiste. Où les Libériens apparaissent au second plan comme des animaux blessés auxquels quelques héros viendraient généreusement en aide. À aucun instant le scénario d’Eric Dignam ne place l’un d’entre eux sur le même plan que l’intrigue principale, mais les oblige à mourir en silence et dans l’anonymat le plus stupéfiant. Caractéristique déterminante de cette mise en scène complaisante : l’écrasante majorité des gros plans ne sont réservés qu’au casting séduisant, le reste étant destiné aux cadavres démembrés des Libériens. Ces derniers doivent ainsi se contenter d’une part de la mort, de l’autre de plans d’ensemble cadrant leur débâcle. Comment trouver allégorie plus réductrice ? Il serait aisé d’égrainer toutes les obscénités perpétrées par The Last Face, long métrage le plus indécent qu’ait connu le Festival de Cannes depuis des années. Le plus abject dans ce film reste sans doute l’absence totale, sinon quelques lignes griffonnées à la va-vite en amorce, de contextualisation de la situation géopolitique du pays. Sean Penn se moque pas mal - tout comme ses personnages - de l’identité du pays ou de ses habitants, de leur passé et de leur présent, et normatise tout avec une prétention et une outrecuidance détestable. Comme si l’on pouvait mondialiser impunément et qui plus est avec les lauriers un racisme latent hérité de la colonisation.
Monté et filmé à la truelle, The Last Face est indigne des grands canons hollywoodiens et bien évidemment loin du palmarès personnel de Sean Penn qui, en quatre films, avait réalisé un sans faute artistique aux yeux de la critique et du public (Indian Runner, The Pledge, Crossing Guard, Into the Wild).
Cet écart tout entier, tourné vers la pseudo épreuve traversée par ses personnages (tromperie, déceptions amoureuses...), devrait faire couler beaucoup d’encre et éroder considérablement les beaux discours caritatifs des acteurs et réalisateurs s’enorgueillissant sur les plateaux télé. La preuve s’il en est que leur monde pailleté n’est pas capable de prendre la mesure de la réalité, sacrifiée ici sur l’autel du divertissement consensuel. De quoi réveiller quelque part le scandale du Kapo de Gilles Pontecorvo, la maestria technique en moins.

Alexandre Jourdain
En collaboration avec le site aVoir-aLire


2h12 - États-Unis - Scénario : Erin DIGNAM - Interprétation : Charlize THERON, Javier BARDEM, Adèle EXARCHOPOULOS, Jean RENO, Jared HARRIS.

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