Gueule d'amour
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L'amour à mort Lucien (Jean Gabin), un jeune soldat, sous-officier des spahis en garnison à Orange, fait chavirer le cœur de toutes les femmes à tel point qu’on l’a surnommé « Gueule d’Amour ». À Cannes, où il est allé récupérer un héritage, il s’éprend de Madeleine (Mireille Balin), une dame du monde. Mais celle-ci se joue de lui... Premier long métrage de Jean Grémillon tourné avec des stars, Gueule d'amour permet de reformer le couple Gabin/Balin, déjà à l'affiche de Pépé le Moko. On est loin ici du réalisme poétique qui inspira Duvivier, Carné ou Renoir, mais Grémillon prend aussi ses distances avec les standards des drames de l'époque. Certes, on en retrouve les conventions : décor militaire glorifié, faune pittoresque gravitant autour du couple central, exotisme de la province, malédiction de la femme fatale... Jean Grémillon transcende ce matériau en le greffant à son univers, épurant un scénario tiré d'un obscur roman, et trouvant en Charles Spaak un collaborateur précieux pour l'adaptation et l'écriture des dialogues, savoureux et justes, mais qui ne tombent jamais dans le mot d'auteur. Si le récit peut paraître sommaire, Grémillon et Spaak le parent d'un romanesque noir. Des personnages déterminés par leur milieu social peinent à satisfaire leurs sentiments, et la tragédie qui les touche naît dans leur quotidien. |
C'est évidemment le cas de Lucien, beau gosse rattrapé par la maladie d'amour, et aveuglé par son désir. Mais Madeleine que l'on devine issue d'un milieu pauvre est aliénée dans son statut de courtisane. Écartelée entre ses origines et une caste mondaine à laquelle elle se réfère mais qui ne l'intègre pas vraiment, elle sera trahie par les mirages de l'argent et du luxe. Cette confrontation de classes est d'autant plus troublante que le film a été tourné pendant le Front populaire, et que le cinéaste est aussi à l'aise dans les scènes « ouvrières » (l'imprimerie, les bistrots, l'amitié avec le « bon copain ») que celles mettant en présence un monde huppé et privilégié, comme si des séquences de La Belle équipe étaient jointes à des extraits de films de Sacha Guitry. Mais Grémillon a sa personnalité propre, et l'on reconnaît sa patte, notamment dans l'utilisation du cadre géographique (dont les paysages rocailleux de la Provence) pour accompagner les sentiments des personnages. Ces derniers sont très bien campés par Gabin et la sublime Mireille Balin, bien entourés de seconds rôles réjouissants. On retiendra particulièrement les compositions de Marguerite Deval en ignoble mère maquerelle, Jean Ayme en valet tête-à-claques, ou Jane Marken en restauratrice extravertie. Gérard Crespo
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1937 - 1h32 - France - Scénario : Charles SPAAK, d'après le roman d'André Beucler - Interprétation : Jean GABIN, Mireille BALIN, René LEFÈVRE, Marguerite DEVAL, Jane MARKEN, Jean AYME, Henri POUPON, Pierre MAGNIER, Maurice BAQUET, Louis FLORENCIE, Pierre LABRY, Pierre ETCHEPARE, Robert CASA, Lucien DAYLE, André CARNÈGE, Frédéric MARIOTTI, Jean-François MARTIAL, Gaston MAUGER, Sylvain ITKINE, Robert OZANNE, Paulette NOIZEUX. |