Farrebique
de Georges Rouquier
Sélection officielle
Cannes Classics





Quatre saisons à la campagne

Pendant un an, de 1944 à 1945, Georges Rouquier a partagé la vie d'une famille paysanne, la sienne, dans la ferme Farrebique à Goutrens, dans le Rouergue. Le film dévoile une vie rythmée par les saisons, de la moisson en été au rituel du grand-père qui coupe et distribue les tranches de pain pour le dîner. Rouquier évoque également les difficultés de cette vie au seuil de sa transformation par l'arrivée de l'électricité et de la modernité... Georges Rouquier était déjà l'auteur de courts-métrages documentaires (Le Tonnelier) lorsqu'il entreprit cette expérience jusqu'alors inédite dans le cinéma français. Grand admirateur de Robert J. Flaherty (Nanouk l'Esquimau), Rouquier a adopté une démarche similaire, à la frontière du documentaire et de la fiction, anticipant le style « documenteur » du cinéma-vérité des décennies postérieures. Les discussions familiales, plus ou moins improvisées devant la caméra, évoquent les histoires de cœur ou les problèmes de patrimoine. On ne saurait parler de reportage : la voix off est absente, les protagonistes ne sont soumis à aucune question du documentariste, et ils « jouent » leur existence, quitte à contourner le réel : ainsi Henri, le fils cadet, était déjà marié au moment du tournage, et ses scènes de flirt avec sa fiancée le mettent en présence de celle qui est devenue son épouse. Le cinéaste est donc à l'opposé de l'art d'un Raymond Depardon qui filmera de façon plus frontale des agriculteurs dans Profils paysans : le quotidien et La Vie moderne.

Farrebique a toutefois en commun avec ces films un réel intérêt ethnologique, puisqu'il est le témoin de la vie rurale de l'après-guerre, période de transition entre les traditions paysannes et la modernité de l'ère du productivisme et de la « rurbanisation ». On a là une véritable famille souche, avec le patriarche exerçant son autorité sur sa filiation, un fils aîné fier de reprendre l'exploitation familiale, et une solidarité manifeste dans la communauté. En même temps, seuls les anciens parlent le patois aveyronnais et les plus jeunes leur répondent en français, les deux frères s'opposent sur deux conceptions de la vie, et le notaire vient rappeler la primauté du droit français sur les coutumes ancestrales... Au-delà de cette radioscopie d'un monde en mutation, Farrebique frappe par la beauté de ses cadrages et prises de vue, Rouquier filmant avec intensité les activités quotidiennes au plus près de la nature et des bêtes. Écarté de la sélection officielle du premier Festival de Cannes, le film y reçut malgré tout le Grand Prix de la Critique Internationale. Et c'est précisément pour célébrer les 70 ans de la FIPRESCI que Farrebique a été projeté à Cannes Classics, dans une version numérisée et restaurée par Éclair avec le soutien du CNC, à partir du négatif nitrate. Il faut (re)découvrir ce documentaire précieux, auquel le cinéaste consacra une suite, Biquefarre, en 1984.

Gérard Crespo



 

 


1946 - 1h30 - France - Documentaire

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