« Le souvenir glisse et puis s’en va… »
Les retrouvailles d'un vieil homme et de son fils permettent d'évoquer les anciens amours du premier et les hésitations sentimentales du second. Paul Vecchiali avait été sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs avec le sublime En haut des marches (1983) puis avec À vot'bon cœur (2004), qui semblait une œuvre testamentaire. C'était sans prévoir l'énergie et le dynamisme de ce jeune homme de quatre-vingt six ans qui à l'instar d'un Manoel de Oliveira ou d'un Alejandro Jodorowsky garde sur le tard un réel appétit de filmer tout en restant fidèle à son art.
On retrouve dans Le Cancre (anagramme du mal qui rongeait Hélène Surgère dans Corps à cœur) cette osmose entre un cinéma d’auteur héritier de la Nouvelle Vague et un ton dans la lignée de films populaires français antérieurs à ce mouvement (signés Decoin ou Grémillon). Sans aller jusqu’au radicalisme de Femmes, femmes, film culte qui le rendit célèbre en 1974, ce dernier opus est une touchante songerie sur le temps qui passe, le souvenir des passions anciennes et les ambiguïtés des liens familiaux, thématiques qui ont toujours été au centre du cinéma de Vecchiali. Bien que tourné dans la villa du réalisateur, avec des allusions à des pans de sa vie (la mémoire de sa mère, son admiration pour Danielle Darrieux), le film échappe à la veine purement autobiographique par une distance à la fois émouvante et drôle, oscillant entre onirisme et ironie, et qui met le vieux Rodolphe en présence des femmes qu’il a aimées. Comme à son habitude, Vecchiali convoque un panel d’actrices qui ont marqué l’histoire du cinéma français. De Françoise Arnoul, vedette de French Cancan de Renoir, à Marianne Basler, qui incarna sous sa direction Rosa la Rose, fille publique, en passant par Edith Scob ou Françoise Lebrun, le cinéaste se fait plaisir, et s’offre même le luxe de faire appel à Catherine Deneuve dans une avant-dernière séquence crépusculaire.
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Sans donner dans la nostalgie facile et le passéisme de cinéphile, Vecchiali émeut dans ce bouquet d’hommages et de clins d’œil où il se donne aussi le beau rôle, celui d’un séducteur amené à faire le bilan de sa vie affective.
Quant à l’homosexualité, qu’il avait ouvertement abordée dans Encore/Once more, elle est ici introduite par le biais du personnage de Laurent, le fils qui ressurgit et accompagne son père les dix dernières années de son existence. Ce récit parallèle est traité dans un montage subtil, à la fois élégant et déconcertant, qui n’est pas sans faire écho aux audaces esthétiques d’En haut des marches. « J’ai privilégié les plans longs qui expriment mieux les variations de tempérament et la conflictualité. Souvent dans la comédie, voire, aussi, dans une sorte de fantastique, le film échappe au pathos sous-jacent et délivre l’émotion sourde, obsessionnelle, d’un premier amour dont on dit que c’est le plus fort. Ainsi que l’impuissance à exprimer la tendresse qu’éprouve un fils devant un père, grognon, manipulateur et brusque. Le film est, en tout cas je l’espère, une sorte de train qui, d’année en année, comme de gare en gare, emmène un homme vieillissant mais toujours amoureux », a déclaré Paul Vecchiali.
Des plans-séquences bergmaniens aux envolées lyriques accompagnées de mélodies délibérément datées (écrites et composées par le fidèle Roland Vincent), Le Cancre relève du meilleur cinéma artisanal d’auteur, même si le spectateur non familier de son univers pourra éprouver le malaise de celui qui lit une lettre ne lui étant pas destinée.
Gérard Crespo
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