Adieu Bonaparte
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« Du haut de ces pyramides… » En 1798, Bonaparte (Patrice Chéreau) envahit l’Égypte et se pose en libérateur face à l'oppression turque. Il est accompagné du général Caffarelli (Michel Piccoli), homme de cœur et d’esprit, qui se lie d’amitié avec deux jeunes Égyptiens. Au fur et à mesure, Bonaparte se révèle un conquérant sans scrupules et la résistance s’organise. Le général Caffarelli et ses deux disciples en feront partie… Cette coproduction franco-égyptienne de prestige permit à Youssef Chahine une collaboration avec un pays européen, tout en lui offrant un budget plus confortable, comparativement à la plupart de ses productions dont la dernière en date était Le Moineau, en 1982. Le film reçut un accueil poli mais plutôt réservé au Festival de Cannes 1985, où il était en compétition officielle. Les défenseurs du Chahine de Gare centrale y virent une compromission avec le système de production occidental, quand les détracteurs de la « qualité française » déplorèrent un énième film historique académique, les costumes de Mme Sassinot de Nesle ou la musique de Gabriel Yared étant perçus comme des symptômes de spectacle culturel international et consensuel. Quant aux cinéphiles historiens, ils furent déçus de ne pas trouver « leur » Bonaparte, comme si un artiste n’était pas en droit de porter son propre regard sur une figure et un épisode de l’Histoire. En fait, même si tout n’est pas parfait dans Adieu Bonaparte (il y manque le souffle lyrique du Destin ou la charge émotionnelle du Sixième jour, avec Dalida), l’œuvre est fidèle à l’univers de Chahine et réussit à trouver le bon équilibre entre le récit de destinées individuelles et l’évocation d’un événement historique, en l’occurrence la campagne d’Egypte. |
Le cinéaste et son coscénariste Yousry Nasrallah ne sont pas tendres avec Bonaparte, présenté comme opportuniste, conquérant, et assoiffé par le pouvoir, quand le général Caffarelli, au-delà de ses manières rustres, s’avère cultivé et ouvert d’esprit. Face à l’arrivée des Français, le peuple égyptien est partagé entre la méfiance, l’hostilité et le soulagement d’être débarrassé des Mamelouks, une milice composée d’anciens esclaves païens qui terrorise les habitants. La famille d’Ali et Yehia, les deux frères égyptiens qui sympathisent avec Caffarelli, doit faire face à ce dilemme. Leur grand frère et la tante sont persuadés qu’une seconde oppression se prépare, tandis que les deux jeunes hommes, passionnés de culture française, sont avides d’échanges avec les occupants, au risque de passer pour des collaborateurs, voire des amants du général. L’important, pour Youssef Chahine, est de renvoyer dos à dos tous les extrémistes et intégristes, incarnés dans le film par des Français avides d’exploits guerriers et des Arabes manichéens. Et comme dans Le Destin, il prône le dialogue, la communication et la fraternité entre les nations. Le discours pourra paraître angélique ou utopique, il est la marque d’un humanisme qui a inspiré les plus grands, tels Chaplin et Renoir. Il est cependant dommage que certaines longueurs dont deux amourettes inutiles viennent un peu ternir la bonne allure de l’œuvre. Le film fut aussi l’occasion pour Chahine de diriger pour la troisième fois le jeune acteur Mohsen Mohieddin, remarquable dans le rôle d’Ali. Le comédien sombrera dans l’intégrisme à la décennie suivante, au grand dam de son Pygmalion. C’est en pensant à lui que Chahine créera le personnage d’Abdellah dans Le Destin.
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1984 - 1h55 - France, Egypte - Scénario : Youssef CHAHINE, Yousry NASRALLAH - Interprétation : Michel PICCOLI, Mohsen MOHIEDDIN, Patrice CHÉREAU, Christian PATEY, Gamil RATIB. |