Peace to Us in Our Dreams
de Sharuna Bartas
Quinzaine des Réalisateurs


Sortie en salle : 10 février 2016




L'ombre de la femme

Une journée d’été. Un homme, sa compagne actuelle et sa fille arrivent dans leur maison de campagne pour le week-end. Depuis la mort de sa mère, la fille de seize ans vit désormais avec son père qui ne s’occupe pas beaucoup d’elle. Il est fatigué de sa routine quotidienne au travail et ne sait pas où trouver la force pour continuer. Sa femme, une violoniste, a perdu la joie de vivre. Elle est perdue entre la musique, l’amour et sa carrière. Même si l’homme et la femme s’aiment, leur relation est tendue et sur le point de s’effondrer.

Cinéaste intimiste, auteur d'une œuvre aride et dépouillée, Sharuna Bartas est fidèle à son style et s'avère l'auteur complet de ce film explicitement autobiographique. Il s'agit presque d'un documentaire introspectif, puisque Bartas a vécu une situation similaire, et qu'il est le père de la jeune actrice qui joue sa fille. Quant à la disparue qui suscite des pensées douloureuses, et dont les images apparaissent dans des vidéos, elle n'est autre que Katerina Golubeva (1966-2011), son ex-épouse et muse de 7e art, qui fut également la compagne de Léos Carax. Les cinéphiles se souviennent de cette jeune femme lumineuse qui avait été l'interprète de Pola X en 1999 et de Twentynine Palms de Bruno Dumont, deux ans plus tard. Le spectateur qui assiste à la projection de Peace to Us in Our Dreams sans avoir ces informations risque d'être déconcerté par le dispositif, tant on peut se demander où Sharuna Bartas veut en venir, par ces silences éloquents, ces pauses sombres et ce minimalisme psychologique, livrant des fragments de journal intime sans vouloir véritablement les partager.

Une intrigue secondaire montrant les déboires de deux vieux paysans et d'un adolescent, tous trois voisins des protagonistes dans leur résidence de campagne, ne fait qu'accentuer un climat d'étrangeté où la fascination pour un scénario à tiroirs est mêlée à un sentiment d'ennui poli, celui-là même que semble avoir ressenti une partie du public lors de la présentation du film à la Quinzaine des Réalisateurs.
Et pourtant, on finit par s'attacher à ces personnages en borderline, et des prises de vue sublimes d'une nature témoin des tourments de ces âmes en peine révèlent un vrai sens de l'atmosphère et de la mise en scène. « Autant que possible, je choisis des lieux que j’aime, qui m’inspirent, que je ressens comme des ouvertures, et qui offrent aux personnages davantage de ressources. Je ne filme jamais un paysage pour lui-même, ce qui m’intéresse ce sont les connections entre les espaces et les gens. Cela donne de l’humanité aux paysages et de la sauvagerie aux humains, il y a un effet croisé », a déclaré le réalisateur. Loin de se complaire dans l'exercice de style, sa démarche finit alors par forcer le respect.
Sans valoir l'œuvre de Bergman ou Tarkovski auxquels d'aucuns ne manqueront pas de le comparer, ce cinéma n'en reste pas moins rigoureux et cohérent. En complément de la sortie nationale de Peace to Us in Our Dreams, le Centre Pompidou propose une rétrospective Sharuna Bartas du 5 février au 6 mars 2016 : l'occasion de (re) découvrir une dizaine de longs métrages singuliers dont Few of Us (1996) et Freedom (2000).

Gérard Crespo

 



 

 


1h42 - Lituanie, France - Scénario : Sharuna BARTAS - Interprétation : Sharuna BARTAS, Lora KMIELIAUSKALTE, Ina Marija BARTAITÉ. Edvinas GOLDSTEIN.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS